L’hospitalisation d’un enfant à Béni Mellal après l’attaque d’un chien errant a ravivé la polémique sur ce phénomène qui fait rage. Dans plusieurs villes du Royaume, la lutte contre ce phénomène est montée au top des priorités, surtout avec l’approche d’importantes échéances internationales comme la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030.
Assise sur une vielle caisse à légumes en bois usé par le temps, « mi Fatima », comme l’appellent affectueusement les habitants du quartier, dispose devant elle une série de bols en plastique remplis de riz, de restes de poulet et quelques légumes. Son regard bienveillant parcourt la rue, à la recherche des fidèles compagnons à quatre pattes qui, chaque jour à 21h pile, attendent impatiemment leur repas. « Ce n’est pas juste une question de nourriture. C’est aussi de l’amour et de l’attention dont ces animaux ont besoin », nous déclare-t-elle le sourire au visage. Sauf que les voisins ne sont pas tous d’accord avec les actions de Fatima. Dans le quartier, le nombre de chiens sans collier ne fait qu’augmenter, crispant et suscitant la méfiance des passants. « Pour l’instant, aucun incident n’a été rapporté dans cette zone, mais nous voyons tous sur les réseaux sociaux de quoi ces chiens sont-ils capables », commente une voisine de Fatima, qui est même allée jusqu’à notifier les autorités locales.
Au moment où l’Etat mobilise tous les moyens, humains et financiers, pour mettre à niveau les infrastructures sportives et routières du Royaume, des efforts d’autant plus importants devraient être fournis pour gérer ces chiens errants qui constituent un danger pour la sécurité et la santé publique, mais qui demeurent tout de même des êtres fragiles méritant de vivre sereinement. Dans cet ordre d’idée, la ville de Casablanca, qui compte accueillir des dizaines de milliers de supporters, de touristes et d’hommes d’affaires dans les années à venir, s’y prend dès aujourd’hui. D’ailleurs, la maire de la capitale économique du pays, Nabila Rmili, fait face à la plainte d’une citoyenne qui a été attaquée en août par une meute de chiens. La plaignante exige des indemnités de 100.000 dhs, apprend-on de son avocat, qui appelle à prendre des mesures drastiques pour en finir avec cette menace grandissante.
« Nous avons établi un diagnostic de la situation au niveau du Grand Casablanca, et nous avons constaté que la majorité des chiens errants proviennent des périphéries, notamment Médiouna, Nouaceur, Bouskoura, etc. », nous indique Moulay Ahmed Afilal, membre du Conseil de la ville, ajoutant qu’ils ont confié la mission de « la gestion des chiens errants » à Casa Baïa, une des sociétés de développement local (SDL) opérant à Casablanca. L’année dernière, une polémique avait explosé à Mohammedia sur la manière dont la SDL gère le phénomène, l’accusant de tuer les chiens au lieu d’appliquer les dispositions de la convention signée en 2019 par le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Santé, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) et l’Ordre national des vétérinaires favorisant l’usage TNVR, acronyme de Trap, Neuter, Vaccinate, Return (capturer, stériliser, vacciner, relâcher). Des allégations rejetées par nos sources au sein de Casa Baïa, qui affirment que tous les chiens errants sont capturés, puis mis dans une fourrière, « en attendant la construction et l’aménagement d’un refuge pour animaux ». Dans ce sens, Moulay Ahmed Afilal rassure que « la construction du refuge se déroule dans les normes », assurant que le Conseil de la ville a invité les associations de protection des animaux à inspecter les lieux qui seraient conformes aux normes requises. Concernant les interventions de Casa Baïa, qui, selon Rmili, ramasserait près de 250.000 chiens errants par an, l’élu affirme que les consignes sont claires : attraper le chien errant, le stériliser et le vacciner contre la rage, puis le relâcher dans un milieu protégé, loin de la population.
Pour Fanny Belle, fondatrice-partenaire de la même association, l’abattage reste pourtant « inefficace, même contre-productif. Il réduit, sur le coup, la population canine mais ne donne aucun résultat à long terme. Les chiens se reproduisent vite et une autre génération remplacera l’ancienne ». Cette défenseuse des droits des animaux plaide ainsi pour l’approche scientifique et compatissante du TNVR, qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, dont la Turquie.
« Dans le cadre de notre programme NoMad, plus de 1.500 chiens stérilisés, vaccinés et réintroduits sur leur territoire, luttant ainsi contre la propagation de virus mortels, notamment la rage, et atténuant efficacement les risques pour les populations humaines », nous dévoile Lucy Austin.
L’ONG s’est récemment associée à l’Alliance mondiale pour le contrôle de la rage (GARC) pour mettre en œuvre la toute première enquête épidémiologique sur les chiens de rue au Maroc. « Le bulletin épidémiologique de GARC nous permet de marquer les cas suspects de rage et de les partager avec les populations locales, en veillant à ce que toute personne exposée à la maladie puisse bénéficier d’une attention médicale immédiate », précise la fondatrice, notant que ce genre d’opérations implique, cependant, de grandes sommes, que les associations ne peuvent pas mobiliser. Le gouvernement, à travers le ministère de l’Intérieur, s’est engagé à lutter contre le phénomène des chiens errants, en utilisant des méthodes plus humaines, interdisant aux communes d’utiliser les armes à feu et les substances toxiques contre les chiens errants. Une initiative qui symbolise un premier pas vers une éventuelle législation claire et précise, prenant en compte le bien-être animal.
Ce qui constituerait un changement radical, c’est que le gouvernement alloue des fonds aux programmes de piégeage, stérilisation, vaccination et restitution (TNVR). Les autorités pourraient faire une réelle différence en travaillant avec des organisations comme la nôtre. Les initiatives éducatives locales visant à sensibiliser et à encourager l’engagement de la communauté en sont un exemple. Cette approche holistique pourrait faire du Maroc le premier pays d’Afrique à se débarrasser de la rage.
Ne pensez-vous pas qu’il faut un travail de sensibilisation auprès des populations ?
Existe-t-il des solutions dites « soft » pour protéger efficacement ces chiens errants ?
L’OVM va augmenter son effectif à plus de 2000 vétérinaires provenant du secteur privé, et y associe des professeurs chercheurs de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Des professionnels qui seront mis à la disposition des autorités pour bénéficier de leur expérience et de leurs connaissances scientifiques du sujet afin de lutter efficacement contre la prolifération de chiens errants.
L’un des principaux défis rencontrés par l’ONG est le manque de soutien du gouvernement qui se manifeste de diverses manières, notamment par un financement insuffisant et un accès inadéquat aux locaux appropriés à leur mission. « Ces limitations entravent notre capacité à répondre efficacement aux besoins des animaux et de leurs communautés », dénonce Lucy Austin, qui souligne pourtant que le travail qu’ils effectuent contribue directement à l’Agenda 2030 des Nations Unies, ratifié par le Maroc, à travers la vaccination des chiens contre la rage. Ce travail contribue aussi directement à l’objectif de l’Organisation Mondiale de la Santé d’un monde sans rage à l’horizon 2030.
En outre, les services vétérinaires de l’ONG s’étendent aux animaux de propriété, y compris les moutons, les chèvres, les mules, les chevaux et les ânes. « Nous mettons tout en œuvre pour soigner les animaux dont les gens dépendent pour leur subsistance », précise notre intervenante, ajoutant qu’ils travaillent également avec des hôtels en stérilisant et vaccinant les chiens dans leurs zones, afin que les habitants et les touristes puissent vaquer à leurs occupations et profiter de la région en toute sécurité.