La récente panne Internet ayant touché une dizaine de pays africains a mis en lumière l’importance des câbles sous-marins, une infrastructure vitale pour l’Internet mondial. Grâce à sa position géographique, le Maroc pourrait devenir un hub régional pour ces câbles.
De fait, les deux plus grands opérateurs du pays, Orange et MTN, ont été fortement impactés par cet incident. Le troisième opérateur, Moov (filiale de Maroc Telecom), a pu échapper à la coupure grâce à l’utilisation d’un câble distinct, le « Maroc Telecom West Africa ». Durant cet épisode, MoovAfrica a même pu offrir à ses clients des capacités supplémentaires grâce à cette infrastructure.
Si les causes de cet incident ne sont pas encore connues, l’hypothèse la plus probable serait une activité sismique au large de la Côte d’Ivoire. Les quatre câbles touchés (The West AfricaCable System, MainOne, South Atlantic 3 et ACE) passent en effet par une même zone exiguë, et se partagent le même point de sortie : Abidjan.
Qu’un incident de cette gravité advienne en Afrique n’est d’ailleurs pas dû au hasard : il s’agit du continent le moins irrigué en câbles sous-marins au monde. Aujourd’hui, 99% des données numériques mondiales transitent par ces câbles. Le centre névralgique de cette immense toile d’araignée est bien évidemment les Etats-Unis, et de plus en plus la Chine et l’Europe. Avec l’essor du nombre d’internautes en Afrique, le manque d’infrastructures représentera un défi majeur dans les années à venir.
“Il s’agit principalement de raisons économiques ou sécuritaires. Lorsque les entreprises ont tiré les câbles et établi les points d’accès au niveau du littoral, des pays comme la Sierra Leone ou la Guinée-Bissau étaient en guerre. Parfois, la population est très faible, et donc l’opérateur local n’est pas disposé à payer pour ce type d’installations”, nous explique Charlotte Escorne, spécialiste de la connectivité en Afrique de l’Ouest.
Jusqu’à très récemment, les câbles sous-marins longeant la côte Ouest de l’Afrique (ACE, SAT-3/WASC,…) reliaient directement ces pays au Sud de l’Europe, sans passer par le Maroc. Afin d’alimenter ses filiales dans la région (MoovAfrica), Maroc Telecom a mis en service en juillet 2021 un nouveau câble, le “Maroc Telecom West Africa”.
D’une longueur de 8.600 km, il raccorde le Royaume à cinq pays côtiers, puis à trois pays enclavés (Mali, Burkina Faso et Niger) via un câble terrestre transafricain traversant la Côte d’Ivoire et le Togo. Dans une seconde étape, l’opérateur a tiré un câble de Casablanca à Lisbonne, point d’entrée dans la boucle optique européenne. Cette expérience démontre que la position géographique du Maroc en fait un potentiel nœud continental, c’est-à-dire un endroit stratégique où plusieurs câbles se croisent.
Sur sa façade méditerranéenne, une mer abondamment parcourue par des câbles sous-marins, le pays dispose de deux points d’entrée (Nador et Tétouan). Pour ce qui est de l’océan Atlantique Nord, à quelques kilomètres du réseau de câbles transatlantiques Europe/États-Unis, le Maroc possède trois points d’entrée à Casablanca, à Asilah et à Dakhla.
Les métiers autour des câbles sous-marins réclament des compétences pointues, que peu d’entreprises maîtrisent. Dans le domaine de la fabrication, de la pose et de l’entretien des câbles par exemple, Alcatel Submarine Networks ou Orange Marine se placent en leader du marché. Par ailleurs, l’investissement dans ce type d’infrastructures est très lourd, c’est pourquoi la plupart des câbles appartiennent soit à des consortiums d’opérateurs, soit aux GAFAM.
Celui de Maroc Télécom a coûté pas moins de 150 millions d’euros. De plus, les câbles sous-marins nécessitent un contrôle et un entretien réguliers, car ils sont soumis à une forte corrosion qui accélère leur dégradation. D’ailleurs, la nouveauté du câble “Maroc Telecom West Africa” pourrait expliquer sa résistance au séisme, contrairement aux quatre autres.
Ils peuvent également subir des dommages involontaires (pêche illégale, courants marins, activités sismiques), voire être victimes de sabotage. Enfin, les câbles sous-marins sont particulièrement exposés aux activités d’espionnage. L’affaire Snowden a révélé que les renseignements américains (NSA) avaient la capacité d’extraire des données directement à partir des câbles.
“Comme pour toute autre infrastructure critique, les câbles sous-marins nécessitent la mobilisation de moyens d’observation comme des satellites, des radars, des drones ou des patrouilles de la gendarmerie et de la Marine royale”, recommande Abdelouahed Jraifi, expert en télécoms.
Des opérateurs au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Nigeria proposent déjà des abonnements 5G, ce qui n’est pas encore le cas au Maroc. Pour ces marchés, cette technologie est l’apanage des équipementiers chinois (Huawei et ZTE), qui y déploient une stratégie commerciale agressive.
“Huawei ne vend pas son équipement qu’à des opérateurs et des entreprises privés, mais signe aussi des partenariats avec des Etats. Au Sénégal par exemple, Huawei a vendu tout un package à l’Etat sous le nom Smart Sénégal. Cela inclut un câble de fibre optique sous-marin reliant le Sénégal aux îles du Cap Vert, tout un maillage de fibres optiques terrestres, un data center et des services de sécurité (Safe city), comme des caméras à reconnaissance faciale”, nous apprend Charlotte Escorne.
Comment le Maroc pourra-t-il s’insérer dans ce paysage aussi prometteur qu’ultra-concurrentiel ? Une des pistes pourrait être d’inclure un volet télécom dans la nouvelle stratégie atlantique du Royaume, que ce soit à travers des collaborations techniques avec les pays ouest-africains, ou en assurant conjointement la sécurisation de ces câbles sous-marins.
L’Afrique est un continent peu irrigué par ces câbles. Pour quelles raisons ?
Comment éviter les incidents de câbles sous-marins ?
Le satellite est déjà utilisé dans certains pays, afin par exemple de fournir du réseau à des territoires mal desservis. Sonatel-Orange au Sénégal utilise les connexions satellites (de SES) pour offrir Internet à des zones difficiles d’accès, comme les zones désertiques par exemple. Mais vous pouvez aussi utiliser le satellite pour des connexions importantes, si jamais le réseau fixe au sol est en panne.
Starlink a commencé à proposer une offre pour de la connexion satellite en Afrique. Certains pays comme le Ghana sont en train de signer un accord pour que ce type de connexion soit mis en place, tandis que d’autres comme la RDC l’ont interdit. L’abonnement mensuel coûte environ 99 dollars et il faut aussi débourser 499 dollars pour l’achat de l’équipement compatible (Kit Starlink).
Existe-t-il une disparité dans l’accès à Internet entre les pays d’Afrique de l’Ouest ?
Dans certaines zones, l’interconnexion par les câbles terrestres n’est pas très bonne. Des pays comme le Ghana ou le Nigeria sont très peu interconnectés aux frontières avec les pays francophones. Cela s’explique par des logiques qui répondent aux opérateurs privés, qui sont présents sur ces territoires et qui ont déployé leurs réseaux en fonction de leurs marchés.
Alors que certains pays s’engagent dans le déploiement de la 5G en partenariat avec des entreprises chinoises, la question de la sécurité a-t-elle été abordée ?
Pour le moment, leur priorité est de rallier les territoires et de ramener la connectivité. En revanche, les opérateurs sont très sensibles à cela. Ils veulent que leur réseau soit très sécurisé, qu’il n’y ait pas de fuite de données comme Sonatel-Orange qui font énormément d’audit sécurité.
Sur le continent africain, on a quatre équipementiers qui se partagent le marché de la 5G : Huawei, ZTE, Nokia et Ericsson. Les entreprises chinoises réussissent mieux car elles ont une vision à long terme. Les équipementiers européens ont des devoirs de résultats par trimestre, alors que l’agenda des équipementiers chinois en termes de rentabilité se fait sur un temps plus long.