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Pêche et agriculture : Quel avenir pour les accords entre le Maroc et l’UE ? [INTÉGRAL]

Pêche et agriculture : Quel avenir pour les accords entre le Maroc et l’UE ? [INTÉGRAL]

Après plus de deux années d’attente, l’avocate générale de l’Union Européenne (UE) a rendu son avis concernant l’annulation des accords liant le Maroc à l’UE. Si le Tribunal adopte ces conclusions, les deux parties devront renégocier ces protocoles sur de nouvelles bases.

Le 21 mars, l’avocate générale de l’Union Européenne (UE), la Croate Tamara Capeta, a rendu son avis concernant la validité juridique des accords de pêche et agricole entre le Maroc et l’UE. Ces deux accords ont été invalidés par le Tribunal de première instance de l’Union Européenne (TUE) en septembre 2021 suite à une plainte du Front Polisario.

L’argument avancé par les juges était que les accords nécessitaient en amont “le consentement du peuple du Sahara occidental, en tant que tiers aux accords litigieux”. En réaction à cette décision, le Conseil Européen et la Commission Européenne avaient introduit un pourvoi en appel avec effet suspensif devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

Au sein de cette Cour, le rôle de l’avocat général est de fournir, en toute impartialité et indépendance, un avis juridique sur une affaire, dénommé «Conclusions». Si la décision finale revient aux juges, on observe qu’ils se rangent dans la majorité des cas sur la position de l’avocat général. D’où l’importance de lire attentivement ses arguments.
 

Faux représentant
Pour ce qui est de l’accord agricole, la position de l’avocate générale est plutôt favorable à Rabat. Selon Tamara Capeta, “c’est à tort que le Tribunal a annulé la décision approuvant, au nom de l’Union Européenne, un accord de traitement tarifaire préférentiel avec le Maroc relatif au territoire du Sahara occidental”, peuton lire dans le communiqué de presse résumant ses conclusions.

En effet, l’avocate générale rappelle que le Front Polisario, à l’origine de la plainte, n’est pas reconnu comme “le représentant du peuple du Sahara occidental par les Nations Unies ou l’Union Européenne”. Ce mouvement n’a “jamais été élu par le peuple du Sahara occidental pour incarner ce rôle et il est impossible de déterminer avec certitude si le Front Polisario bénéficie du soutien de (la majorité de) ce peuple”.

Toutefois, selon Tamara Capeta, le Front Polisario “doit être reconnu comme possédant au moins un statut de représentant partiel de ce peuple”. Elle propose donc à la Cour de confirmer l’appréciation du Tribunal selon laquelle le recours en première instance est recevable, quoique sur la base de motifs différents.
 

Puissance administrante
Dans ses conclusions, l’avocate générale explique que “le peuple du Sahara occidental n’est pas en mesure d’exprimer son consentement à être lié par l’accord litigieux”.

“Dans le cas particulier du peuple du Sahara occidental, il n’existe pas de représentant choisi ou accepté qui pourrait exprimer un consentement au nom de ce peuple. Même si le Front Polisario participe aux négociations politiques sur la résolution de la question du Sahara occidental, ce rôle n’est pas le même que celui d’un représentant élu ou reconnu du peuple sahraoui exprimant les aspirations collectives de celui-ci. Ce dernier rôle ne peut être attribué qu’au moyen de l’exercice du droit à l’autodétermination par le peuple sahraoui, que la communauté internationale reste incapable d’organiser”, lit-on dans le document.

Le Maroc est ainsi considéré par l’UE comme “la puissance administrante” de ce territoire. Ce statut lui confère le droit de conclure des accords commerciaux incluant le Sahara, et de consentir à l’application d’un accord conclu entre des États tiers, pour autant que cet accord remplisse les conditions contenues dans la charte des Nations Unies.

Accord de pêche
Tamara Capeta arrive à la conclusion que “la décision litigieuse ne viole ni le principe de l’effet relatif des traités ni l’aspect du droit à l’autodétermination qui était en cause dans l’arrêt Conseil/ Front Polisario”. Cependant, elle insiste sur un traitement séparé des produits provenant du Sahara. Cela exige que les déclarations en douane et l’étiquetage du pays d’origine des produits provenant du territoire du Sahara indiquent ce territoire comme étant le lieu d’origine de ces produits, à l’exclusion de toute indication d’une origine au Royaume du Maroc.

“Cette exigence concerne notamment les produits originaires du Sahara occidental qui bénéficient d’un traitement préférentiel, sur le fondement de l’accord litigieux, lors de leur importation sur le territoire douanier de l’Union Européenne”, explique le document.

Contrairement à l’accord agricole, toujours en vigueur en attendant le jugement définitif de la Cour, l’accord de pêche est arrivé à échéance en juillet 2023. Selon les conclusions de l’avocate générale concernant cet accord, “il ressort de l’interprétation retenue par la Cour dans ces arrêts que la portée du droit de pêche englobe l’obligation de traiter le territoire du Sahara occidental comme étant « séparé et distinct » du territoire du Royaume du Maroc”.

D’après elle, l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable ne répond pas à cette exigence. “L’absence d’un traitement séparé et distinct des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental et de celles adjacentes au territoire du Royaume du Maroc dans l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable et le protocole de mise en œuvre a également des conséquences pour le droit du peuple du Sahara occidental à bénéficier des ressources naturelles des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental”, insiste-t-elle.

Tamara Capeta arrive à la conclusion qu’”étant donné que le protocole de mise en œuvre a expiré en juillet 2023, aucune activité de pêche ne peut actuellement être exercée par les navires de l’Union dans les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. Cela a également été confirmé lors de l’audience”.

Cependant, elle propose de maintenir les effets de la décision litigieuse pendant une période raisonnable n’excédant pas deux ans à compter du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, afin de convenir avec le Royaume du Maroc des nécessaires modifications de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable.
 

Nouvelles conditions
La première réaction du Maroc est venue du porte-parole du gouvernement Mustapha Baitas. Lors d’un point de presse le 21 mars, il a souligné que “l’Union Européenne doit assumer toutes ses responsabilités pour préserver le partenariat avec le Royaume et le protéger contre toutes provocations et manœuvres politiques».

Si le Tribunal européen s’aligne sur les conclusions de l’avocate générale, les deux accords doivent être renégociés sur de nouvelles bases. Quelques jours après l’arrivée à échéance de l’accord de pêche, le ministre des Affaires étrangères avait déjà fixé les paramètres d’une éventuelle reconduite de ce partenariat.

Le premier porte sur la nécessité d’instaurer un «partenariat plus avancé, car le schéma actuel, qui consiste à recevoir une contrepartie financière, contre le droit de pêche, n’est plus adapté. L’objectif du Maroc est de créer une véritable valeur ajoutée», avait-il expliqué lors d’un point de presse à la suite de la conférence africaine sur le littoral atlantique.

Le deuxième paramètre a trait au «développement de la pêche nationale à travers le programme national Halieutis», tandis que la troisième condition porte sur le «besoin de consolidation d’une coopération dans les secteurs scientifique et de repos biologique en matière de production de la pêche».

Si l’accord de pêche n’est pas prioritaire pour le Royaume, qui a depuis quelque temps varié ses partenariats dans ce domaine, avec la Russie par exemple, celui touchant à l’agriculture est plus vital pour les exportations marocaines.

“Si l’UE prend le risque de corroborer cet accord, on irait vers une crise, à mon avis, assez grave, sachant que l’UE est le premier fournisseur et le premier client du Maroc. Ceci paraît difficilement envisageable”, analyse Mohamed-Badine El Yattioui, professeur-chercheur en Études Stratégiques au Collège national de défense (NDC) des Émirats Arabes Unis.

Trois questions à Mohamed-Badine El Yattioui : “Les deux parties ont intérêt à ce que les accords soient validés et renouvelés”
Quelle conclusion tirez-vous des appréciations de l’avocate générale de la Cour de Justice de l’Union Européenne au sujet de l’accord agricole et l’accord de pêche. Peut-on dire qu’elles confortent les positions du Maroc ?
Il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’un jugement mais simplement d’une étape de procédure. L’avocate générale a tenu une analyse qui contredit le jugement de première instance du Tribunal et vise à éclairer les juges qui devront juger en appel d’ici quelque temps. Il est clair que les appréciations de l’avocate générale confortent les positions du Maroc puisqu’elle préconise le maintien de l’accord agricole tout en plaidant pour la nécessité de réviser l’accord de pêche, ce que le Maroc avait aussi revendiqué pour aboutir à un accord plus avantageux qui soit mutuellement bénéfique. En outre, l’avis de la procureure est d’autant plus défavorable au Polisario puisqu’il nie sa capacité de représenter les populations du Sahara, ce qui est clairement une observation en faveur du Maroc.
 

Quel serait l’impact de la décision finale de la Cour, si elle confirme l’annulation des accords agricole et de pêche, sur le futur de la coopération entre le Maroc et l’UE, vu que le Royaume a clairement dit qu’il n’y aura plus d’accord de coopération économique qui n’inclue pas le Sahara ?

Si jamais la Cour prenait le risque de corroborer l’annulation de l’accord agricole et celui de la pêche, on pourrait déboucher sur une crise diplomatique et commerciale assez lourde de conséquences entre le Maroc et l’Union Européenne étant donné que le Royaume ne saurait accepter un accord amputé du territoire du Sahara. On irait vers une crise, à mon avis, assez grave, sachant que l’UE est le premier fournisseur et le premier client du Maroc. Ceci paraît difficilement envisageable.
 

Concernant la représentativité des populations du Sahara, la Cour a reconnu que le Polisario n’est pas un représentant officiel. S’agit-il d’une évolution de la jurisprudence internationale bénéfique au Maroc ?

 La recommandation de l’avocate générale dénie formellement et clairement aux séparatistes du Polisario toute capacité juridique de représenter les populations locales. En fait, on assiste au dépassement de la vision classique issue de la guerre froide de ce conflit puisque petit à petit, dans plusieurs instances internationales, qu’elles soient juridictionnelles ou diplomatiques, le Polisario n’est plus reconnu comme un représentant légitime des populations du Sahara, qui sont naturellement marocaines. C’est une avancée extrêmement positive dans la perception du dossier à l’échelon international.
 
Recueillis par A. M.

Historique : Un partenariat face aux remous politiques
Le partenariat économique entre le Maroc et l’Union Européenne ne date pas d’hier. Le premier accord d’association fut signé le 26 février 1996 et entré ensuite en vigueur quatre années plus tard. Au départ, cet accord prévoyait d’éliminer progressivement les tarifs douaniers sur les produits agricoles et industriels sur une décennie. Les accords relatifs aux produits agricoles et à ceux de la pêche furent signés en 2010. Ce n’est pas la première fois que ce partenariat se voit heurté aux obstacles de la Justice européenne. En 2015, le tribunal de première instance avait annulé la décision du Conseil Européen relative à l’accord agricole et celui de la pêche suite à une plainte du front Polisario. Cette décision fut ensuite entérinée, en 2016, par la Cour de Justice de la Cour Européenne, ce qui a poussé le Maroc à suspendre toute coopération. Puis, le 27 février 2018, la Cour de justice de l’Union Européenne, à qui il a été demandé de statuer sur la validité de l’accord et des protocoles les plus récents, a jugé que ces textes étaient valides. Un protocole couvrant une période de quatre ans fut signé. Il est arrivé à échéance en juillet 2023. En septembre 2021, le tribunal de Luxembourg a à nouveau annulé les accords relatifs à l’agriculture et à la pêche suite à une plainte du Polisario sous prétexte qu’ils auraient été conclus sans le consentement des populations locales. Une décision qui a l’objet d’un double pourvoi formé par la Commission Européenne et le Conseil Européen. 

Partenariat commercial : Ce que cherche la Commission Européenne
En se prononçant en faveur de l’annulation des accords de partenariat avec le Maroc, la Justice européenne, à moins que la Cour de Justice en décide autrement dans le jugement d’appel, se positionne en porte-à-faux avec les intérêts de la Commission Européenne. “Dans un monde où les chaînes d’approvisionnement n’ont jamais été si troublées, la Commission Européenne a intérêt à préserver l’accord agricole et l’accord de pêche avec le Maroc”, estime Mohamed-Badine El Yattioui, professeur-chercheur en Études Stratégiques au Collège national de défense (NDC) des Émirats Arabes Unis.

“Les deux parties ont intérêt à ce que les accords soient renouvelés dans des conditions mutuellement avantageuses vu l’interdépendance de leurs économies et l’importance de leur partenariat commercial”, explique-t-il, ajoutant que l’Union Européenne a un besoin urgent d’assurer sa sécurité alimentaire eu égard à la situation internationale troublée avec les conséquences de la guerre russo-ukrainienne et les difficultés d’adoption de l’accord de libre-échange avec le Mercosur.

“Ceci dit, le Maroc et l’UE ont besoin d’un accord commercial solide”, poursuit notre interlocuteur. Selon l’expert, maintenant, la difficulté fondamentale émane de la dichotomie entre la Justice européenne et les Etats-membres de l’UE, dont une partie importante soutient implicitement ou explicitement la marocanité du Sahara. “Là, nous sommes face à des contradictions, il suffit de voir la position de l’Espagne qui a très clairement avancé, comme celle de l’Allemagne, des PaysBas, de la Hongrie, des pays de Višegrad…etc. On voit à quel point la position de la Justice européenne va à l’encore de celle de l’Union Européenne”, conclut M. Yattioui.