Après plus de deux années d’attente, l’avocate générale de l’Union Européenne (UE) a rendu son avis concernant l’annulation des accords liant le Maroc à l’UE. Si le Tribunal adopte ces conclusions, les deux parties devront renégocier ces protocoles sur de nouvelles bases.
L’argument avancé par les juges était que les accords nécessitaient en amont “le consentement du peuple du Sahara occidental, en tant que tiers aux accords litigieux”. En réaction à cette décision, le Conseil Européen et la Commission Européenne avaient introduit un pourvoi en appel avec effet suspensif devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Au sein de cette Cour, le rôle de l’avocat général est de fournir, en toute impartialité et indépendance, un avis juridique sur une affaire, dénommé «Conclusions». Si la décision finale revient aux juges, on observe qu’ils se rangent dans la majorité des cas sur la position de l’avocat général. D’où l’importance de lire attentivement ses arguments.
En effet, l’avocate générale rappelle que le Front Polisario, à l’origine de la plainte, n’est pas reconnu comme “le représentant du peuple du Sahara occidental par les Nations Unies ou l’Union Européenne”. Ce mouvement n’a “jamais été élu par le peuple du Sahara occidental pour incarner ce rôle et il est impossible de déterminer avec certitude si le Front Polisario bénéficie du soutien de (la majorité de) ce peuple”.
Toutefois, selon Tamara Capeta, le Front Polisario “doit être reconnu comme possédant au moins un statut de représentant partiel de ce peuple”. Elle propose donc à la Cour de confirmer l’appréciation du Tribunal selon laquelle le recours en première instance est recevable, quoique sur la base de motifs différents.
“Dans le cas particulier du peuple du Sahara occidental, il n’existe pas de représentant choisi ou accepté qui pourrait exprimer un consentement au nom de ce peuple. Même si le Front Polisario participe aux négociations politiques sur la résolution de la question du Sahara occidental, ce rôle n’est pas le même que celui d’un représentant élu ou reconnu du peuple sahraoui exprimant les aspirations collectives de celui-ci. Ce dernier rôle ne peut être attribué qu’au moyen de l’exercice du droit à l’autodétermination par le peuple sahraoui, que la communauté internationale reste incapable d’organiser”, lit-on dans le document.
Le Maroc est ainsi considéré par l’UE comme “la puissance administrante” de ce territoire. Ce statut lui confère le droit de conclure des accords commerciaux incluant le Sahara, et de consentir à l’application d’un accord conclu entre des États tiers, pour autant que cet accord remplisse les conditions contenues dans la charte des Nations Unies.
“Cette exigence concerne notamment les produits originaires du Sahara occidental qui bénéficient d’un traitement préférentiel, sur le fondement de l’accord litigieux, lors de leur importation sur le territoire douanier de l’Union Européenne”, explique le document.
Contrairement à l’accord agricole, toujours en vigueur en attendant le jugement définitif de la Cour, l’accord de pêche est arrivé à échéance en juillet 2023. Selon les conclusions de l’avocate générale concernant cet accord, “il ressort de l’interprétation retenue par la Cour dans ces arrêts que la portée du droit de pêche englobe l’obligation de traiter le territoire du Sahara occidental comme étant « séparé et distinct » du territoire du Royaume du Maroc”.
D’après elle, l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable ne répond pas à cette exigence. “L’absence d’un traitement séparé et distinct des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental et de celles adjacentes au territoire du Royaume du Maroc dans l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable et le protocole de mise en œuvre a également des conséquences pour le droit du peuple du Sahara occidental à bénéficier des ressources naturelles des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental”, insiste-t-elle.
Tamara Capeta arrive à la conclusion qu’”étant donné que le protocole de mise en œuvre a expiré en juillet 2023, aucune activité de pêche ne peut actuellement être exercée par les navires de l’Union dans les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. Cela a également été confirmé lors de l’audience”.
Cependant, elle propose de maintenir les effets de la décision litigieuse pendant une période raisonnable n’excédant pas deux ans à compter du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, afin de convenir avec le Royaume du Maroc des nécessaires modifications de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable.
Si le Tribunal européen s’aligne sur les conclusions de l’avocate générale, les deux accords doivent être renégociés sur de nouvelles bases. Quelques jours après l’arrivée à échéance de l’accord de pêche, le ministre des Affaires étrangères avait déjà fixé les paramètres d’une éventuelle reconduite de ce partenariat.
Le premier porte sur la nécessité d’instaurer un «partenariat plus avancé, car le schéma actuel, qui consiste à recevoir une contrepartie financière, contre le droit de pêche, n’est plus adapté. L’objectif du Maroc est de créer une véritable valeur ajoutée», avait-il expliqué lors d’un point de presse à la suite de la conférence africaine sur le littoral atlantique.
Le deuxième paramètre a trait au «développement de la pêche nationale à travers le programme national Halieutis», tandis que la troisième condition porte sur le «besoin de consolidation d’une coopération dans les secteurs scientifique et de repos biologique en matière de production de la pêche».
Si l’accord de pêche n’est pas prioritaire pour le Royaume, qui a depuis quelque temps varié ses partenariats dans ce domaine, avec la Russie par exemple, celui touchant à l’agriculture est plus vital pour les exportations marocaines.
“Si l’UE prend le risque de corroborer cet accord, on irait vers une crise, à mon avis, assez grave, sachant que l’UE est le premier fournisseur et le premier client du Maroc. Ceci paraît difficilement envisageable”, analyse Mohamed-Badine El Yattioui, professeur-chercheur en Études Stratégiques au Collège national de défense (NDC) des Émirats Arabes Unis.
Quel serait l’impact de la décision finale de la Cour, si elle confirme l’annulation des accords agricole et de pêche, sur le futur de la coopération entre le Maroc et l’UE, vu que le Royaume a clairement dit qu’il n’y aura plus d’accord de coopération économique qui n’inclue pas le Sahara ?
Concernant la représentativité des populations du Sahara, la Cour a reconnu que le Polisario n’est pas un représentant officiel. S’agit-il d’une évolution de la jurisprudence internationale bénéfique au Maroc ?
“Les deux parties ont intérêt à ce que les accords soient renouvelés dans des conditions mutuellement avantageuses vu l’interdépendance de leurs économies et l’importance de leur partenariat commercial”, explique-t-il, ajoutant que l’Union Européenne a un besoin urgent d’assurer sa sécurité alimentaire eu égard à la situation internationale troublée avec les conséquences de la guerre russo-ukrainienne et les difficultés d’adoption de l’accord de libre-échange avec le Mercosur.
“Ceci dit, le Maroc et l’UE ont besoin d’un accord commercial solide”, poursuit notre interlocuteur. Selon l’expert, maintenant, la difficulté fondamentale émane de la dichotomie entre la Justice européenne et les Etats-membres de l’UE, dont une partie importante soutient implicitement ou explicitement la marocanité du Sahara. “Là, nous sommes face à des contradictions, il suffit de voir la position de l’Espagne qui a très clairement avancé, comme celle de l’Allemagne, des PaysBas, de la Hongrie, des pays de Višegrad…etc. On voit à quel point la position de la Justice européenne va à l’encore de celle de l’Union Européenne”, conclut M. Yattioui.