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MAGAZINE : Norah Jones, la preuve par le neuf

MAGAZINE : Norah Jones, la preuve par le neuf

D’un disque à l’autre, la chanteuse américaine élargit majestueusement son champ d’action. Avec ce nouveau-né, « Visions » paru le 8 mars, elle opère une belle infidélité au jazz, appuyant davantage sur des médiums tels la pop, la soul, le folk. Avec une incitation à la danse, donnant ainsi la réplique à des ballades portées par une voix légère et tendre. Par moments, voilée.

Du grand art, s’adressant à tous, aux autres également. En s’amusant, avec un sérieux indéniable, Norah Jones livre ici du sensuel. Un neuvième opus rêvassant, une production où le charme agit comme un guide assermenté. L’album est caressant. Il tutoie le songe en convoquant des vertus nocturnes que Jones partage avec le producteur et multi-instrumentiste Leon Michels (Sharon Jones, Lee Fields). « La raison pour laquelle j’ai appelé l’album ‘’Visions’’ est que beaucoup d’idées sont venues au milieu de la nuit ou juste avant de s’endormir. Nous avons composé la plupart des chansons de la même manière : j’étais au piano ou à la guitare, Leon jouait de la batterie et nous faisions des jams. J’aime le côté brut entre Leon et moi, la façon dont ça sonne un peu garage, un peu soul, parce que c’est de là qu’il vient, mais aussi parce que ce n’est pas trop perfectionné. Pour moi, Leon est un partenaire. Il est tellement agréable d’avoir, en studio, quelqu’un auquel vous apportez des choses et qui vous les rend et fait en sorte que le résultat sonne comme vous le souhaitez. Certains réalisateurs s’assoient juste derrière la table de mixage, d’autres écrivent des chansons avec vous et jouent d’instruments. Leon est comme cela. Nous avons écrit beaucoup de chansons ensemble », explique la chanteuse qui s’adresse en partie à cette jeunesse qui ne la connaît pas ou peu. Avec « Visions », Norah Jones court après un monde paisible, une vie moins contraignante, un avenir bannissant les violences et les désastres que l’homme inflige à son environnement. Un discours grave enveloppé dans du velours. Et nous voilà charmés, emportés vers des cimes dégoulinantes de fraîcheur.
 
Papillonner sans retenue

 

Il y a 22 ans, Norah Jones est à l’origine d’un séisme musical avec un premier album, « Away With Me », dans lequel figure l’intense « Don’t Know Why ». Un disque jazzy écoulé à plus de 20 millions de copies, raflant cinq Grammy Award sur les neuf que compte à ce jour la carrière de l’artiste et les 50 millions d’albums vendus. Les opus se succèdent et ne se ressemblent que parce que les admirateurs se forcent à le croire. Après l’univers jazz qui fait son succès, elle papillonne sans retenue : blues, country, pop, folk, soul, rock… Sachant convaincre, elle se vend et vend bien. Avec cela, elle n’est pas avare en collaborations : Ray Charles, Tony Bennett, Herbie Hancock, Wynton Marsalis, Willie Nelson, Dolly Parton, Keith Richards, Jack White, Foo Fighters, Billie Joe Armstrong de Green Day, Q-Tip… En puisant dans ce vaste échantillon de styles, Norah Jones distille ce « Visions », un album brut et rugueux qu’elle confectionne avec nonchalance en compagnie de Michels : « Ni l’un ni l’autre n’avions de grands projets et nous ne travaillions pas beaucoup, une fois par semaine pendant quelques heures, pendant que nos enfants étaient à l’école. C’était très détendu. C’est pour cela que ça a pris autant de temps, un an et demi ! », confie la chanteuse à l’AFP.   

 

Une science de la mélodie
 
La fille de l’immense Ravi Shankar affiche aujourd’hui une santé enviable après l’approximatif « Pick Me Up Off The Floor » où elle injecte, outre une trame jazz-pop, funk et hip-hop. Mais elle assume en expliquant que c’est ainsi qu’elle affirme sa volonté de préserver sa liberté de choix musicaux et sa non appartenance à une catégorie du marché musical. Pourtant, sur « Visions », la sauce prend et la recette est implacable. Elle s’en amuse : « C’est un disque plutôt marrant. On s’est éclaté à jouer ensemble, et je crois que ça s’entend pas mal dans les enregistrements. Ce sont presque des démos ces chansons. » Par moments, ce nouvel album mixe des atmosphères insoupçonnées, celles de Tom Waits et de Jeff Buckley. Au piano, à la guitare ou à la basse, Jones laisse s’épanouir une véritable science de la mélodie. Et puis, elle pose délicatement sa voix ensorceleuse. On sent son corps entier entrer dans une transe délectable. Même lorsqu’elle se trémousse (nous l’imaginons) sur « I Just Wanna Dance » que coécrit le batteur Homer Steinweiss (à la batterie de « Back to Black » d’Amy Winehouse), elle le fait avec suavité. Mais où se cache le jazz qui lui colle à la carrière, elle qui évolue dans la firme Blue Note Records que préside le producteur Don Was (The Rolling Stones, Bob Dylan, Iggy Pop…) ? « Eh bien, je suis sur Blue Note et j’ai commencé en jouant du jazz. Mais je pense que mon premier album a été ma première expérience hors du jazz. Je ne sais pas. Je ne me préoccupe pas de ce que les gens pensent, mais ça ne me fâche pas. Je n’appellerai pas ‘’jazz’’ ce que je fais. Mais je viens de là et, certainement, j’aime ça », dit-elle avec espièglerie. En tout cas, « Visions » (12 chansons) est une galette à consommer avec gourmandise.