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Lutte anti-hooliganisme : Pourquoi nos stratégies manquent d’efficacité ? [INTÉGRAL]

Lutte anti-hooliganisme :  Pourquoi nos stratégies manquent d’efficacité ?  [INTÉGRAL]

Les derniers matchs de la Botola 1 ont été le théâtre de nouvelles confrontations entre les publics, causant des dégâts matériels et humains importants. Une situation qui interpelle sur l’efficacité du dispositif anti-hooliganisme au Maroc, à l’approche des échéances prépondérantes que sont la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030.

Samedi dernier, à Kénitra, des incidents de vandalisme et de violence liés ont émaillé la rencontre entre l’AS FAR et l’Olympique Club de Safi.  Après l’intervention des forces de l’ordre, une quinzaine de personnes ont été arrêtées, lançant ainsi l’appareil judiciaire. Quelques semaines plus tôt, des évènements du même acabit ont eu lieu à Tétouan avant le match MAT-Raja pour le compte de la 21ème journée de Botola Pro D1. Cette fois-ci, 29 interpellations ont été effectuées alors que des policiers ont été agressés et des voitures saccagées. Des peines allant de six mois avec sursis à un an et demi de prison ont même été prononcées par la justice. Ce retour en force de la violence qui gravite autour des stades interpelle à plus d’un titre sur l’efficacité du dispositif de la lutte contre le hooliganisme, engagé par le Royaume. D’une part, les amendes ou autres peines dressées ne semblent pas être assez dissuasives, comme en témoigne le grand taux de récidive. D’autre part, les mesures, honnies, de matches à huis-clos ou d’interdiction de déplacement des supporters font peser sur la FRMF la menace d’un championnat sans spectacle, ou, pire, celle d’une privation d’une partie des recettes dans les finances des clubs, qui ont déjà la vie dure.
 
Benmoussa passe à l’acte !

 
Conscient des lacunes du dispositif en vigueur, l’Exécutif a approuvé, en février dernier, un projet de décret portant création des commissions locales pour la lutte contre la violence dans les enceintes sportives. Ledit texte, présenté par le ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, Chakib Benmoussa, vise à assurer la coordination entre les différents acteurs opérant dans le domaine de la lutte contre la violence dans les stades au niveau territorial, et à définir la composition de la commission locale de lutte contre les actes de violence au sein des enceintes sportives.
 
Cette commission qui comprend des représentants provinciaux des autorités gouvernementales compétentes et les parties chargées d’intervenir dans la lutte contre les actes de violences commis lors des manifestations sportives, sera dotée de tous les moyens pour assurer des contrôles et des actions efficaces. « La réussite de cette initiative repose sur une série de mesures, comme l’adoption de nouveaux dispositifs juridiques et la consolidation des campagnes de sensibilisation », souligne Abdellah El Amri, « security expert » et spécialiste en management de risques, ajoutant que parmi « les principaux facteurs d’échec de nos stratégies anti-vandalisme figure l’aménagement territorial ».
 

 

La CPTED, une solution durable

 
L’aménagement de l’urbain, des stades et de leurs environs peut jouer un rôle important dans la réduction des conditions de vandalisme et dans la prévention des émeutes. Notre interlocuteur donne l’exemple de la CPTED (Crime Prevention Through Environmental Design), dont les bénéfices ont déjà été éprouvés dans nombre de stades européens et sud-américains entre autres (voir 3 questions à…). « Il s’agit d’une approche holistique qui repose sur quatre piliers, à savoir la surveillance naturelle, le contrôle d’accès naturel, le renforcement territorial et l’entretien, visant à transformer l’environnement d’une zone quelconque pour décourager les opportunités de violence et de crime », explique El Amri, donnant l’exemple d’une success story brésilienne avec le Bus Rapid Transit (BRT) de Curitiba. « Cette ville a mis en œuvre cette approche dans la conception de son système de transport en commun. Les stations de bus ont été conçues pour maximiser la visibilité, avec des espaces ouverts, de bons éclairages et des dispositifs de surveillance adéquats, dissuadant ainsi les délinquants ».
 
En outre, les processus d’achat de guichet unique qui seraient accompagnés d’un aménagement repensé de l’intérieur des stades constitueraient également une riposte efficace au problème. Comme cela se fait dans la grande majorité des grands stades européens, les supporters, munis d’un billet avec QR Code, rangée et numéro de siège, se rendraient directement à leurs places, et les travées seraient séparées en plusieurs zones, le tout en consolidant la surveillance à l’intérieur de l’enceinte. « Ces précisions dans les informations personnelles dissuadent les personnes souhaitant enfreindre la loi », soutient notre expert.
 

 

Les hooligans : des produits de la société ?

 
Pour Abderrahim Bourkia, professeur de Sociologie du Sport à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan Ier de Settat, le mal est plus profond que ce qui paraît. « La violence et les écarts de certains supporters seraient le résultat de l’échec du système éducatif, des acteurs de la socialisation, des pouvoirs publics, des familles et des clubs », explique notre sociologue. Par conséquent, il serait nécessaire de mettre en place un « plan Marshall » visant à mieux intégrer les jeunes, notamment ceux en perte de repères.
 
Par ailleurs, il est important de prendre en compte le rôle des clubs de supporters, et de faire de leur existence un atout, plutôt qu’un inconvénient : « Il faut responsabiliser les groupes de supporters, identifier les noms et les adresses des adhérents », nous dit Abderrahim Bourkia, ajoutant qu’en France, en Suisse, en Allemagne et ailleurs, les ultras sont reconnus juridiquement. Dès lors, il deviendrait plus simple de maîtriser les faits concomitants à l’activité des clubs d’ultras : « Il y a souvent des incidents mais la loi est appliquée à l’égard des acteurs impliqués et les récidivistes ne sont pas épargnés », conclut-il. 

3 questions à Abdellah El Amri : « Il y a un concept qu’on appelle la Prévention du crime par la conception environnementale »
Quelles sont les raisons de la persistance du phénomène de hooliganisme au Maroc ?  
Le phénomène du hooliganisme persiste et continue de s’intensifier au Maroc, et plusieurs facteurs peuvent être identifiés à cet égard. Tout d’abord, la mauvaise gestion des clubs de football marocains, en particulier sur le plan organisationnel. Aux crises financières, à l’instabilité au niveau du personnel administratif ou technique, ainsi qu’aux déclarations néfastes de divers acteurs du football. A cela s’ajoute une communication inefficace, notamment sur les réseaux sociaux, contribuant à créer des frustrations parmi les supporters. Celles-ci peuvent parfois se manifester par des réactions violentes. En dehors des facteurs liés aux clubs de football, il y a des facteurs sociaux à considérer. Les disparités socio-économiques et la pauvreté poussent parfois les jeunes à exprimer leurs frustrations par le biais de manifestations, même en dehors des stades.
 
Il est également important de prendre en compte l’emplacement de certains stades dans des zones urbaines densément peuplées, ce qui peut exacerber les tensions et les conflits et créer des conditions opportunes favorisant des actes de violence et de vandalisme.
  Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur la sphère footballistique et sur la sphère sociale ?  
Il y a des conséquences directes et indirectes. Sur le plan direct, nous observons des pertes humaines et des blessures lors des émeutes, ainsi que des condamnations des supporters impliqués dans ces incidents.
Au niveau financier, les clubs subissent des pertes importantes en raison de l’absence de supporters lors des matchs et des sanctions imposées par la Fédération Royale Marocaine de Football. De plus, le vandalisme entraîne des pertes matérielles significatives tant pour les biens publics que privés.
Sur le plan indirect, le football marocain souffre d’une image très négative, ce qui peut avoir des répercussions sur son attractivité et sa réputation à l’échelle internationale. De plus, le tourisme sportif, qui représente une source de revenus importante pour les clubs et les villes, subit les conséquences de plein fouet. Enfin, l’absence d’une bonne catégorie de supporters, tels que les familles, les fans étrangers et les passionnés de football.
  Vos recommandations pour lutter contre le phénomène ?  
Il y a un grand travail fait par les autorités marocaines, mais il faut adopter de nouvelles approches dans l’avenir, surtout que le Maroc prépare de nouvelles structures pour accueillir la Coupe du Monde 2030. Il y a un concept qu’on appelle la Prévention du crime par la conception environnementale (CPTED). Cette approche est souvent appliquée dans la conception de quartiers, de bâtiments, de parcs et d’autres espaces publics afin de minimiser les risques de criminalité et d’améliorer la sécurité globale. Il s’agit d’une approche holistique qui utilise la conception environnementale pour prévenir le crime, améliorer la sécurité et renforcer le tissu social au sein des communautés dans l’espace urbain. De l’installation d’un éclairage stratégique à la création de parcs accueillants, il faut trouver des solutions pratiques pour construire des espaces publics plus sûrs et résilients. Mais le succès de cette méthode dépend de la participation active des résidents, des urbanistes, des forces de l’ordre et d’autres acteurs clés.
 

3 questions à Abderrahim Bourkia : « En amont, l’idée est de mettre en place des projets socio-éducatifs ou socio-préventifs »
Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur la sphère footballistique et sur la sphère sociale ?  Les conséquences de ces actes de violence révèlent les maux de notre société. Ils sont souvent commis en réponse à une frustration et de la colère chez ceux qui se voient désaffiliés du système. La violence qui gravite autour des stades et qui prend en otage le football et son spectacle en dit long sur les formes de sociabilité et de socialisation chez les jeunes. Elle contribue à démasquer les imperfections du système politique dans son manquement à contenir une partie de ses citoyens. Une combinaison entre le sécuritaire, la prévention et le socio-culturel est l’approche idéale à mon avis pour lutter contre la violence dans les stades.
  Sur la base des expériences en Europe et ailleurs, quelles sont les solutions envisageables pour endiguer le hooliganisme ou du moins le limiter ?  
En plus de l’encadrement des clubs d’ultras, il y a ce qu’on appelle le « fan coaching ». Il y a même des instances nationales qui s’occupent du phénomène du « supporterisme ».  Elles doivent répondre, communiquer et sanctionner suite aux incidents (usage de la violence, affrontements, allumage d’engins pyrotechniques et jets de projectiles), car leur rôle est de contenir et d’encadrer les supporters.
  Si l’on se situe plus en amont, existe-t-il des solutions complémentaires ?  
En amont, l’idée est de mettre en place des projets « socio-éducatifs » ou « socio-préventifs », afin d’intégrer et d’éduquer les jeunes et ratisser large pour permettre d’avoir le libre arbitre et non d’être des suiveurs. Je me demande toujours où nous en sommes dans les politiques dédiées à la jeunesse marocaine : les centres sociaux et sportifs de proximité, les centres culturels pour amener les écoliers à voir d’autres modèles et découvrir leur talent.