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Accord de Libre-Echange Maroc-UE : Les dessous d’une renégociation qui s’annonce rude ! [INTÉGRAL]

Accord de Libre-Echange Maroc-UE : Les dessous d’une renégociation qui s’annonce rude ! [INTÉGRAL]

L’accord de libre-échange entre le Maroc et l’Union Européenne pourrait être sur la sellette. La colère des agriculteurs européens fournit le contexte idéal pour une évolution de ce texte vers ce que la Commission Européenne promeut comme un « accord de nouvelle génération ».

Depuis quatre mois, plusieurs pays européens sont secoués par une fronde des agriculteurs. Ce mouvement, d’une rare intensité, cible particulièrement les politiques imposées par l’Union Européenne (UE). Pour ces agriculteurs, Bruxelles dicte non seulement des réglementations de plus en plus contraignantes, mais leur fait également subir une concurrence déloyale d’autres pays, en multipliant les accords de libre-échange (ALE).

En effet, la critique de cette approche “libre-échangiste” de l’UE s’est cristallisée autour de l’ALE avec le Mercosur. Signé en 2019, cet accord est bloqué depuis cette date, car il risque d’ouvrir le marché européen à plusieurs pays de l’Amérique du Sud et à leur production agricole abondante et peu chère. 

Si des Etats européens ont réussi à geler ce traité, certains veulent aller plus loin, en renégociant des ALE déjà en vigueur. Madrid s’active au niveau européen afin de simplifier les règles de la Politique agricole commune (PAC) et renforcer certaines clauses dans les ALE, notamment en ce qui concerne les contraintes agricoles et environnementales. 

Sur cette dernière question, le gouvernement est sous forte pression des agriculteurs espagnols, qui ont particulièrement en ligne de mire l’accord agricole Maroc-UE. Selon eux, les fruits et légumes marocains seraient en grande partie responsables de leur situation. L’opposition à cet accord a même pris une tournure violente, avec le saccage de plusieurs camions transportant des tomates marocaines.

Surfant sur cette colère, le parti d’extrême droite Vox a appelé à rompre définitivement cet accord. Dans un communiqué diffusé fin février, le parti affirme que le texte « ne garantit pas l’égalité des conditions et des chances entre les deux parties », ce qui met en péril des milliers d’emplois dans les zones rurales de l’UE. Selon eux, le Maroc pratiquerait une concurrence déloyale envers les agriculteurs européens en raison de conditions de production avantageuses, notamment en termes de coût de la main-d’œuvre.

 

Cadre caduc
Vox fait partie de ce bloc souverainiste européen, qui risque de remporter les prochaines élections européennes de juin prochain. Ce camp fait de l’opposition à l’ouverture commerciale tous azimuts de l’Europe son cheval de bataille. Si cette nouvelle donne risque de mettre la pression sur le Maroc, cela ne fera que confirmer une tendance déjà en œuvre au sein de la Commission Européenne. 

“Certains responsables européens estiment que le cadre qui a présidé à la signature des accords commerciaux avec le Maroc est caduc”, nous confie un fin connaisseur des arcanes des institutions européennes. Notre interlocuteur fait référence aux « accords de nouvelle génération », qui ne se limitent plus à l’aspect commercial, mais incluent également une harmonisation des normes, qu’elles soient sanitaires, sociales, techniques ou environnementales. 

“Avec ces accords de nouvelle génération, l’UE adopte une approche novatrice axée sur la diffusion auprès de ses partenaires de normes et de valeurs qui correspondent à sa vision de l’ordre économique et des règles du commerce international ”, nous explique Alan Hervé, professeur à Sciences Po Rennes en droit de l’Union Européenne. 

Il cite comme exemple l’introduction de certains chapitres dans les traités qui abordent le respect des critères écologiques ou des droits de l’Homme. Des accords de ce genre ont déjà été signés avec le Canada (CETA), le Royaume-Uni, le Japon, le Vietnam, Singapour, la Nouvelle-Zélande, etc. L’UE a également modernisé sur la base de ces nouveaux critères son accord d’association avec le Chili en décembre 2023, et négocie actuellement la même chose avec le Mexique.

 

Relation “à la carte”
Le Maroc sera-t-il le prochain sur la liste ? “La Commission Européenne a clairement exprimé sa volonté que tous les prochains accords respectent le nouveau format, voire que tous les accords anciens déjà signés soient révisés”, nous apprend Alan Hervé. 

Dans une communication datant de 2021, et intitulée “Réexamen de la politique commerciale : Une politique commerciale ouverte, durable et ferme”, la Commission indique que ”les négociations sur une zone de libre-échange approfondi et complet sont en cours depuis plusieurs années avec le Maroc et la Tunisie. L’UE est disposée à discuter avec les deux partenaires des solutions envisageables pour moderniser les relations en matière de commerce et d’investissement afin de mieux les adapter aux défis actuels”.

Or, comme le relève Alan Hervé, la révision d’un accord requiert le consentement des deux parties. La diplomatie marocaine a rappelé à plusieurs reprises qu’elle ne pouvait accepter une relation “à la carte” avec ses partenaires. La coopération entre le Maroc et l’UE englobe un vaste éventail de domaines, incluant le commerce, l’énergie, la sécurité et la lutte contre l’immigration illégale. Pour gérer les flux migratoires, l’UE n’alloue au Royaume que près de 150 millions d’euros, contre 7,4 milliards d’euros pour l’Egypte par exemple.

Pour ce qui concerne le volet commercial, les deux sont liés par un accord d’association euro-méditerranéen entré en vigueur en 2000, un accord agricole renouvelé en 2019, et un accord de pêche expiré en juillet 2023 et qui sera renégocié courant cette année. 

Régulièrement renouvelés depuis 1988 pour une durée de quatre ans, ces deux derniers accords ont été invalidés par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en septembre 2021 après une plainte du Polisario. À la suite de cette décision, le Conseil Européen et la Commission Européenne ont introduit un pourvoi en appel avec effet suspensif devant la CJUE.

La procureure générale de l’UE, la Croate Tamara Capeta, devrait rendre ce 21 mars son avis sur la validité juridique de ces deux derniers textes. Si l’annulation est maintenue, Rabat et Bruxelles devraient les renégocier sur de nouvelles bases. Le plus important pour le Royaume étant bien évidemment d’inclure les produits agricoles et de pêche issus de ses provinces du Sud. 

3 questions à Alan Hervé : “Dans les ALE, il y a une dimension paradoxalement protectionniste”
Pourquoi l’UE signe-t-elle autant d’Accords de libre-échange (ALE) ?
 
D’un point de vue commercial, l’UE est une grande puissance exportatrice, mais également importatrice.  Il y a un intérêt économique de l’Union à s’assurer un accès privilégié aux marchés de pays tiers. L’autre raison est que l’OMC était, jusqu’à une période récente, le cadre des relations commerciales internationales.
 
Or, ces dernières années, l’OMC a été très fragilisée, et les négociations de nouvelles règles au sein de l’OMC n’aboutissent pas. Donc, l’UE a fait le choix depuis le début des années 2000 de se tourner vers les ALE afin de s’assurer qu’avec ses partenaires commerciaux, il y ait des règles communes d’échanges.
 
En plus, les ALE permettent à l’UE de diffuser des normes et des valeurs qui correspondent à sa vision de l’ordre économique mondial et des normes internationales. Dans les “accords de nouvelle génération”, vous trouverez des chapitres sur le développement durable, où l’UE essaie d’imposer aux partenaires des normes environnementales et sociales.
 

Peut-on considérer ces normes comme protectionnistes ?

 
Dans les ALE, il y a une dimension qui paradoxalement peut être considérée comme protectionniste, puisque les deux parties défendent des intérêts qui leur sont propres. Donc, ce n’est pas que des instruments d’ouverture de marché et de libéralisme, mais aussi en partie des instruments de protection.
 
La spécificité est que ces mesures protectionnistes de l’UE se trouvent beaucoup sur le plan des législations prises par l’UE elle-même et appliquées à l’intérieur de son marché. Par exemple, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou le règlement sur la déforestation, ainsi qu’un autre texte en train d’être négocié au sein de l’UE sur le commerce des produits issus du travail forcé.
 

Y a-t-il une opposition à ces ALE au sein de l’UE ?

 
Cette opposition se manifeste depuis plusieurs années dans la société civile. Elle a été très forte lors des négociations de l’ALE entre l’UE et les Etats-Unis, mais aussi du CETA avec le Canada. Aujourd’hui, cette contestation est reprise par certains Etats membres au sein de l’Union, comme par exemple la France qui refuse de signer l’accord UE-Mercosur, vu le risque qu’il fait peser sur le secteur agricole.

Politique Agricole Commune : Un texte qui passe mal
Outre les ALE, l’autre raison de la colère des agriculteurs européens est la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) pour la période 2023-2027. Axée sur la transition écologique et le respect de la biodiversité, cette politique est jugée comme fortement contraignante et impraticable par les agriculteurs.
 
Parmi les « conditionnalités » fustigées par les organisations agricoles qui les jugent impraticables face aux aléas climatiques : l’obligation de rotation des cultures, avec une culture différente de l’année précédente sur 35% des terres arables. 
 
Après les manifestations de ces derniers mois, Bruxelles a proposé des révisions législatives pour réduire drastiquement les règles environnementales de la PAC. L’objectif est d’alléger la charge administrative, de donner aux agriculteurs comme aux États une plus grande flexibilité pour se conformer à certaines conditions, sans réduire le niveau global d’ambition environnementale.

« Green Deal » : Le grand défi de l’économie nationale
Il suscite l’ire des agriculteurs et des industriels partout en Europe, pourtant, il figure parmi les nouvelles conditions des accords de Libre-échange de l’Union Européenne (UE). Il s’agit du « Green Deal » qui implique une série de mesures visant à adapter les politiques de l’UE dans plusieurs domaines, avec l’objectif global de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.
 
Si les échanges maroco-européens tirent leur performance principalement de l’industrie automobile et de l’agriculture, le Pacte vert prévoit l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique d’ici à 2035. Côté agricole, l’UE se fixe comme objectifs de réduire de 50% l’utilisation des pesticides d’ici à 2030, d’augmenter la biodiversité dans les écosystèmes agricoles et encore d’exploiter 25% des terres agricoles en agriculture biologique.
 
En juin 2023, la Commission Européenne a mis en place un train de mesures en faveur d’une utilisation durable des ressources naturelles essentielles à même de renforcer la résilience des secteurs agricole et alimentaire du Vieux continent.
 
Ce train de mesures comprend une nouvelle loi sur la santé des sols, avec comme objectif d’avoir des sols sains dans l’UE d’ici à 2050, un règlement sur les plantes produites par des techniques génomiques et des mesures visant à réduire le gaspillage alimentaire et textile. Pour atteindre ces objectifs louables, des aides aux agriculteurs sont octroyées pour assurer une transition en douceur. Et le Maroc devrait faire de même pour s’adapter aux nouvelles normes de l’UE.