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Démantèlement de navires : Parent pauvre de la stratégie navale marocaine [INTÉGRAL]

Démantèlement de navires : Parent pauvre de la stratégie navale marocaine [INTÉGRAL]

Parmi les quatre objectifs de la stratégie de l’industrie navale à l’horizon 2030 figure le développement d’une filière nationale de démantèlement de navires. Cependant, les avancées dans ce domaine restent limitées, en raison de l’absence d’un cadre juridique clair et des inquiétudes liées aux répercussions écologiques et sanitaires.

 Démantèlement de navires : Parent pauvre de la stratégie navale marocaine [INTÉGRAL]
Le Royaume vise à intégrer le cercle restreint des constructeurs navals, avec pour objectif d’en faire un secteur industriel aussi dynamique que l’automobile et l’aéronautique. Cette ambition se concrétise à travers le nouveau chantier naval de Casablanca, une infrastructure de pointe, la plus grande du continent, dont l’exploitant sera dévoilé par l’Agence Nationale des Ports (ANP) dans les prochaines semaines.
 
La trajectoire visant à faire du Maroc un pôle logistique et industriel maritime régional est définie par la Stratégie portuaire 2030, dont l’axe dédié à l’industrie maritime identifie quatre activités prioritaires : la construction navale, la réparation et la maintenance des navires, la construction de plateformes offshore, ainsi que le démantèlement de navires.

 
Si les trois premières activités retenues par la stratégie avancent à un rythme soutenu, portées notamment par le futur chantier naval de Casablanca et d’autres initiatives, la quatrième activité, à savoir le démantèlement des navires en fin de vie, semble, elle, marquer le pas. En dehors de quelques échanges sporadiques avec des investisseurs et de visites de terrain, aucune avancée concrète n’a, jusqu’à présent, été constatée sur ce dossier.

 
Catastrophes écologiques

 
Pourtant, le démantèlement des navires, ainsi que ses activités connexes, notamment le recyclage de l’acier et la valorisation des autres matériaux récupérés, représente un gisement économique non négligeable. Selon les projections du ministère de l’Équipement, la filière pourrait générer entre 1.200 et 1.800 emplois directs, ainsi qu’un volume d’échanges estimé entre 1,1 et 1,7 milliard de dirhams.

 
Dès lors, comment expliquer un tel retard dans sa mise en œuvre ? D’après les sources consultées par « L’Opinion », l’activité de démantèlement est freinée par un vide juridique et normatif d’ordre technique et réglementaire, qu’il faudra combler avant d’envisager un véritable lancement. “Désosser un bateau implique la manipulation de produits dangereux et hautement toxiques. Une telle opération ne peut être réalisée à la légère”, nous explique une source dans le secteur.

 
En effet, le Maroc tient à éviter à tout prix de reproduire l’expérience sud-asiatique, où le démantèlement sauvage et mal encadré des navires a provoqué de véritables catastrophes écologiques sur les côtes bangladaises, indiennes et pakistanaises, avec des rejets massifs de substances toxiques telles que l’amiante, les PCB ou le cadmium. Le but est de verrouiller cette filière pour la rendre “durable”, comme précisé dans la stratégie.

 
Secteur fortement réglementé

 
Or, à ce jour, aucun cadre juridique, aucune norme technique ni aucun cahier des charges n’ont été formellement établis en ce sens. Selon le Plan directeur relatif à la stratégie 2030, l’objectif est non seulement de démanteler les navires de petit et moyen tonnage nationaux, mais également ceux en provenance d’Afrique de l’Ouest, d’Europe et d’Amérique du Nord.

 
Ces transactions internationales sont encadrées par plusieurs conventions visant à limiter les effets néfastes de cette activité sur l’environnement et la santé humaine. La plus récente est la Convention de Hong Kong, que le Maroc n’a pas signée. Ce texte, adopté en 2009 sous l’égide de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), réglemente le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires. Son entrée en vigueur est prévue pour le 26 juin 2025.

 
Le pays adhère toutefois à la Convention de Bâle de 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination. Un amendement à cette convention, dénommé Ban Amendment, entré en vigueur en décembre 2019, restreint considérablement l’exportation de déchets dangereux, notamment celle des navires, des pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) vers les pays non-membres.

 
“La Convention de Bâle ne s’intéresse aux navires en fin de vie qu’une fois qu’ils sont devenus des déchets. À l’inverse, la Convention de Hong Kong encadre l’ensemble du cycle de vie du navire, du berceau à la tombe, c’est-à-dire de sa construction dans les chantiers à son démantèlement”, résume Quentin Nougué, chercheur en droit maritime.

 
Monopole de l’Asie du Sud

 
Si ces conventions visent à encadrer la déconstruction navale selon des normes environnementales et sanitaires strictes, dans les faits, une majorité d’armateurs contournent ces règles et font démanteler leurs embarcations dans des pays du sous-continent indien, où ils obtiennent de meilleurs prix. Pour cela, “ils utilisent toute une série de subterfuges : sociétés-écrans, intermédiaires étrangers, pavillons de complaisance, etc.”, nous apprend Quentin Nougué.

 
Dans un contexte aussi concurrentiel et opaque, le Maroc peut-il espérer se tailler une part de marché sans renoncer à l’ambition d’une filière vertueuse et écologique ? Actuellement, près de 90 % du tonnage mondial démantelé est traité dans des chantiers d’Asie du Sud, notamment au Bangladesh, en Inde et au Pakistan. Cette position de leader incontesté s’explique d’abord par la forte demande en acier dans ces pays, alimentée par leurs importants besoins en matière de construction d’infrastructures domestiques.

 
“La déconstruction navale obéit de fait à une logique de marché, puisque le prix de la tonne d’acier est trois fois plus élevé en Asie qu’en Europe. Les armateurs occidentaux ont donc intérêt à satisfaire cette demande forte plutôt que de confier leurs navires à des chantiers européens”, relève notre expert. Dans des pays comme le Bangladesh, l’industrie du recyclage naval est devenue si importante qu’elle fournit, par relaminage, au moins 60 % de l’acier produit dans le pays.

 
Un modèle vertueux

 
Avec le durcissement des règles encadrant le démantèlement, notamment au sein de l’Union Européenne, et l’essor des préoccupations écologiques dans les industries maritimes, le Royaume pourrait saisir l’opportunité en investissant dans le développement d’une filière industrielle respectueuse de l’environnement et à haute valeur ajoutée.

 
Ce type de plateformes reste rare à l’échelle internationale. L’exemple le plus abouti est celui du port de Brest, où un site opéré par Navaleo (filiale des Recycleurs bretons) est aujourd’hui reconnu comme une référence. Il est doté d’installations classées pour la protection de l’environnement et constitue, à ce jour, le seul chantier de la façade atlantique habilité à déconstruire des navires de fort tonnage.

 
Le Maroc pourrait s’inspirer de ce type d’expérience pour développer sa propre industrie de démantèlement et de recyclage naval. Selon la stratégie 2030, cette activité sera prioritairement localisée au port de Jorf Lasfar, avec un potentiel identifié dans trois autres ports. Ce choix présente l’avantage de s’appuyer sur un tissu industriel déjà existant dans son hinterland, notamment l’usine de Sonasid.

 
La filiale marocaine du groupe Arcelor Mittal, leader mondial de l’acier, a d’ailleurs déjà procédé par le passé au recyclage de coques en acier de navires échoués sur les côtes marocaines. La valorisation de la ferraille pourrait aussi être une manière de réduire l’empreinte carbone de l’industrie sidérurgique nationale.

 

3 questions à Quentin Nougué : “Actuellement, les seuls chantiers de démantèlement qui opèrent dans des conditions optimales sont européens”
 Démantèlement de navires : Parent pauvre de la stratégie navale marocaine [INTÉGRAL]
  • Quels sont les facteurs économiques influençant la décision d’un armateur de mettre son navire au rebut ?

 
–        Le plus important facteur est le montant des taux de fret, c’est-à-dire du prix du transport. Le prix de la ferraille et celui de l’acier, liés l’un à l’autre, jouent également un rôle. En devenant plus restrictive, la législation peut aussi influer sur le volume de navires à démanteler.

 
D’autres raisons complémentaires peuvent retentir sur le marché de la démolition navale : les prix du pétrole, les coûts exponentiels d’entretien ou de remise à niveau du navire, son inadaptation par rapport à la demande du marché ou encore sa valeur résiduelle sur le marché de la seconde main.

 
 

  • Quels sont les leviers qui pourraient inciter les armateurs à recourir à des chantiers respectueux des normes environnementales et sociales ?

 
–        L’UE envisage depuis plusieurs années l’instauration d’un mécanisme fiscal, de nature à encourager ses armateurs à relocaliser leurs projets de démantèlement sur le continent. Différentes options pour un tel instrument financier ont été explorées : la dernière porte sur la mise en place d’une licence de recyclage.

 
D’un point de vue fonctionnel, la licence permettrait à tout navire d’accéder à un port de l’UE, qu’il batte pavillon d’un État membre ou d’un pays tiers. Afin d’en obtenir une, les armateurs devraient verser pour chacune de leurs embarcations une contribution, dont le montant dépendrait de facteurs liés à ses caractéristiques individuelles.

 
Les contributions seraient versées à une agence européenne, qui restituerait toutes les sommes collectées une fois que le navire est en fin de vie, à condition d’être recyclé dans un chantier agréé par l’UE. Le montant des sommes collectées devrait combler l’écart financier entre le recyclage dans une installation non conforme (dans les pays du sous-continent indien) et dans une installation européenne.

 
Le problème, c’est que des doutes subsistent quant à la faisabilité et la potentielle efficacité d’un tel instrument. En particulier, sa conformité avec le droit de l’OMC est incertaine.

 
 

  • Peut-on aujourd’hui identifier des filières de démantèlement véritablement durables ?

 
–        Actuellement, les seuls chantiers qui opèrent dans des conditions optimales sont ceux situés en Europe. Pour ce qui est de la France par exemple, une filière industrielle est en train de se structurer, notamment dans le port de Brest qui est devenu en quelques années une référence de la déconstruction navale.

 
L’activité y est née avec le démantèlement par la PME Navaleo (filiale des Recycleurs Bretons) du TK Bremen, cargo maltais qui s’était échoué sur une plage du Morbihan en 2011 et elle n’a eu de cesse depuis lors de se développer. En 2020 et 2021, cette entreprise a en particulier déconstruit les trois derniers sous-marins diesel de la Marine nationale.

 
Doté d’installations classées pour la protection de l’environnement, le site de Brest possède le seul chantier de la façade atlantique habilité à déconstruire les navires à fort tonnage.

 
 

Stratégie portuaire 2030 : Les grandes lignes du plan directeur
 Démantèlement de navires : Parent pauvre de la stratégie navale marocaine [INTÉGRAL]
Le plan directeur pour le développement des infrastructures portuaires dédiées à l’industrie navale à l’horizon 2030 identifie quatre types d’activités à répartir sur huit ports stratégiques du Royaume. Ce plan vise à assurer la maintenance et la réparation navales de la fotte nationale, tout en captant une part des marchés régionaux et internationaux. Il ambitionne également de faire du Maroc une référence régionale dans la construction de navires, avec des unités allant jusqu’à 120 mètres. Le développement durable de l’activité de démantèlement de navires est également inscrit parmi les priorités, dans l’objectif d’en faire une source d’approvisionnement importante pour l’industrie sidérurgique nationale.

Enfin, le plan prévoit la promotion de la construction de petites unités et de modules destinés aux plateformes o shore, un marché en pleine expansion sur le continent africain. Dans l’ensemble, ce programme table sur la création de 5500 à 7930 emplois directs, une contribution au PIB comprise entre 1550 et 2270 millions de dirhams, et un volume d’échanges estimé entre 5000 et 8050 millions de dirhams. S’agissant du démantèlement de navires, le Maroc entend se positionner sur les petits et moyens tonnages, qu’ils soient issus de la otte nationale ou en provenance d’Afrique de l’Ouest, d’Europe ou d’Amérique du Nord. Le port de Jorf Lasfar a été retenu comme site principal pour accueillir cette activité, avec un potentiel de développement dans les ports de Tan Tan, Nador West Med et Kénitra Atlantique. L’investissement nécessaire pour concrétiser ce programme est évalué à 4,5 milliards de dirhams à l’horizon 2030. Ce nancement sera assuré par l’État et les autorités portuaires, dans le cadre de partenariats public-privé.

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