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Interview avec Hassan Aourid : « Les identités posent problème quand elles s’opposent à la citoyenneté »

Interview avec Hassan Aourid : « Les identités posent problème quand elles s’opposent à la citoyenneté »

​Auteur prolifique, Hassan Aourid dissèque dans son dernier livre « Le piège des identités » le populisme et les tentations de repli identitaire qui surgissent partout, même au Maroc. Il met en garde contre un traquenard qui peut facilement “déraper”. D’où la vertu de la citoyenneté. Entretien.

Interview avec Hassan Aourid : « Les identités posent problème quand elles s’opposent à la citoyenneté »
  • Après la chute du Mur de Berlin, tout le monde a cru à la fin de l’Histoire où la démocratie et les valeurs occidentales allaient se propager dans le monde et permettre le vivre-ensemble. On assiste aujourd’hui au contraire avec la montée de la xénophobie et du populisme en Occident et le retour des passions identitaires. Peut-on dire que la mondialisation heureuse est une chimère ?

 
–       Je pense que nous vivons actuellement un basculement du monde qui remet en cause quelques références. Il est vrai qu’à la chute du Mur de Berlin, nous sommes passés d’un paradigme à un autre. La lutte des classes a laissé place au conflit des identités et au choc des cultures. Ce basculement dont je parle a visiblement remis en cause les identités. On avait longtemps cru que celles-ci étaient la panacée des minorités marginalisées partout dans le monde, notamment en Occident. Mais, aujourd’hui, il y a une dérive sans précédent. Le modèle multiculturaliste anglo-saxon est en train de s’essouffler et dégénère en identitarisme avec la question raciale qui refait surface. On le voit aux Etats Unis où on parle de privilège blanc… Il est clair qu’il n’y a pas d’autre alternative à la citoyenneté pour vivre ensemble. Là, je parle de l’Occident parce que le problème se pose en des termes beaucoup plus complexes dans les autres sociétés, y compris dans le monde arabe.

 

  • En lisant votre livre, on s’aperçoit que vous expliquez la crise identitaire qui secoue l’Occident à l’aune de ce qui passe en France où parle d’archipélisation de la société. Pourquoi ce zoom sur le modèle français ?

 
–       En fait, j’ai parlé aussi du modèle anglo-saxon tel qu’appliqué au Canada et aux Etats-Unis. Mais, en effet, j’ai consacré un chapitre au rapport à l’autre en France. C’est un cas emblématique puisqu’il s’agit du modèle qui intègre le moins les minorités et les populations issues de l’immigration. Aussi, c’est le cas qui m’est le plus proche intellectuellement. C’est le seul pays en Europe qui s’est efforcé de faire de l’islam politique une affaire d’Etat après la sortie du récent rapport sur les Frères musulmans. Effectivement, le cas français mérite une place importante dans l’analyse que j’ai faite de ce qui se passe en Occident. J’ai abordé des problèmes connexes à la crise de l’identité en France comme la question de l’islamophobie, et la reconfiguration de la société française qui se transforme en archipel.

 

  • Vous évoquez aussi le Maroc qui n’échappe pas à la problématique de l’identité avec le mouvement amazighe et d’autres discours identitaires qui apparaissent de temps à autre. Est-ce une menace sur la cohésion ou une richesse ?

 
–       Tout dépend de la façon dont on voit les choses. Pour moi, les identités sont plurielles. J’espère que mon travail soit utile dans ce sens. Dans mon livre, autant je défends  le droit à l’identité, autant je reste intimement convaincu que les identités doivent se couler dans un cadre commun qu’est la citoyenneté. Les identités deviennent un problème quand elles s’opposent à la citoyenneté. Donc, je privilégie la citoyenneté.

 

  • En France, on voit que l’islam devient un sujet politique omniprésent dans le débat, voire même un sujet majeur des campagnes électorales. Est-ce que le rejet de l’islam est le révélateur d’une crise existentielle des  Français dits de « souche » ?

 
–       Incontestablement puisqu’il on revient à la notion de l’ennemi indispensable. Mais, il y a d’autres facteurs. Je cite les conséquences de la mondialisation qui a fait des gagnants dans les grandes métropoles et des perdants qui se sentent laissés-pour-compte. Il y en a parmi eux des Français de souche qui avaient l’habitude de voter jadis pour le Parti communiste. Aujourd’hui, ils votent pour les partis d’extrême droite ayant un discours nationaliste et hostile à l’immigration. N’oublions pas aussi le legs de l’Histoire qui pèse dans le subconscient collectif.

 

  • En principe, la laïcité est censée permettre à tout le monde quelle que soit sa religion de vivre ensemble. Pourtant, l’islam est en permanence au coeur des polémiques dès qu’il s’exprime dans l’espace public. La laïcité devient de facto une idéologie plus qu’un système censé garantir la neutralité de l’Etat ?

 
–       Laïcité et sécularisme sont différents. La laïcité est la neutralité de l’Etat par rapport aux religions et, par conséquent, s’oppose aux identités. Or, on assiste aujourd’hui à une dérive qui fait que la laïcité à la française devient un support identitaire à la fois pour la droite et la gauche aussi. On assiste, en définitive, à un basculement où la laïcité n’est plus une neutralité mais une revendication identitaire. Cette notion est truffée d’épithètes. On parle maintenant de laïcité engagée… Il y a une volonté à forcer des communautés  à prêter allégeance à une certaine conception de la laïcité.

 

  • Au milieu de cette effervescence identitaire, on remarque dans le discours des partis nationalistes en Europe et aux Etats-Unis cette revendication des racines chrétiennes. Comment  voyez-vous cela ?

 
–       Ce n’est pas seulement la droite qui en parle, mais également la gauche. Il y a une sorte de réconciliation intellectuelle qui s’est faite sur ce point. Je cite dans mon livre l’ouvrage d’Olivier Roy qui se demande si l’Europe est chrétienne. La droite s’approprie la laïcité après l’avoir rejetée auparavant tandis que certains courants intellectuels de gauche tentent également de se réconcilier avec le passé chrétien de l’Europe. Tout cela s’est fait par opposition à un ennemi fictif.
 

Interview avec Hassan Aourid : « Les identités posent problème quand elles s’opposent à la citoyenneté »
  • En parlant de la gauche, on voit que sa frange la plus extrême tente d’amadouer les communautés musulmanes partout en Europe, surtout en France où LFI se fait le défenseur des musulmans. Est-ce une stratégie politique pour gagner des voix ou un combat idéologique ?
 
 
C’est là qu’on peut comprendre l’attitude de la France Insoumise qui essaye de se rapprocher des Français qui ne seraient pas de souche en parlant de “créolisation”. C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de souche française et que la société française est elle-même le fruit de l’immigration. Cette créolisation serait même bénéfique. C’est ça le cœur du discours de l’extrême gauche. 

–       L’extrême gauche se positionne sur l’échiquier politique. Là, il y a eu un basculement. Je préfère ce terme à l’instrumentalisation. Nous sommes face à un phénomène qui n’est pas assez étudié : la décolonialité avec l’émergence du discours décolonial qui demeure conséquent à la crise du néolibéralisme.
 

 
  •  Il y a beaucoup de penseurs et de personnalités politiques en Europe, et même chez nous au Maroc, qui pensent que l’hostilité croissante à l’immigration en Occident n’est qu’une façon de faire de l’immigré un bouc-émissaire des crises économiques et sociales ?

 
–       C’est incontestable. En réalité, cette hostilité à l’immigration n’est pas due seulement à des raisons économiques, mais elle a des racines culturelles. Raison pour laquelle je parle dans mon livre de la “fabrication de l’ennemi”. J’y consacre tout un chapitre. Il va sans dire que les sociétés en crise ont besoin d’un ennemi pour en faire l’exutoire de leurs contradictions internes. En France, l’ennemi a changé de nom au fil de l’Histoire. Il fut un temps où c’était le protestant puis le juif… Pour moi, c’est manifestement le reflet d’une crise existentielle.
 
 

  •  Dans votre livre, vous évoquez les questions qui fâchent, y compris celle du grand remplacement qui s’impose de plus en plus dans les débats en Occident après avoir été un tabou. Quelle conclusion en tirez-vous ?

 
–       Sur ce point, un sociologue français avait parlé de psychose. C’est le terme qui me paraît le plus convenable pour désigner les réactions que suscite ce concept. Il  y a effectivement des gens qui pensent que l’immigration n’est pas un phénomène fortuit mais qu’il y a un complot contre les sociétés occidentales. Je pense personnellement que le rapport récemment publié en France sur l’islam politique abonde dans ce sens en parlant de “l’entrisme des frères musulmans”.
 

  • Face à cette frénésie identitaire, est-ce que les communautés musulmanes en Europe sont condamnées à faire le choix entre leur identité et l’assimilation forcée ?

 
–       Je ne suis pas bien placé pour répondre à cela. A cet égard, la seule conclusion que je tire c’est que la France a failli intégrer  les Musulmans.
 

  • Comment expliquez-vous le succès du discours populiste en Occident ?

 
–       La montée du populisme est due certes, en partie, à la crise néolibérale, mais n’empêche que la xénophobie demeure l’un de ses éléments constitutifs.
 

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