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Une adoption en force faisant fi de tout débat démocratique

Une adoption en force faisant fi de tout débat démocratique
Une adoption en force faisant fi de tout débat démocratique
Depuis des années, une bataille silencieuse se joue autour de la réforme du Code de procédure pénale marocain. Hommes politiques, juristes et défenseurs des droits humains scrutent chaque amendement proposé, les passant au crible des conventions internationales que le Maroc a pourtant ratifiées. Leur constat est sans appel : loin des grands discours sur la modernisation judiciaire, le processus de réforme s’enlise dans l’opacité et les occasions manquées.

Ce qui alarme particulièrement les observateurs, c’est l’absence criarde de débat démocratique autour d’un texte qui conditionnera pourtant les libertés fondamentales de millions de citoyens.

Les questions soulevées par ces experts touchent à l’essence même de l’Etat de droit et derrière ces interrogations techniques se profile un enjeu plus fondamental : le Maroc choisit-il véritablement la voie d’une justice indépendante et protectrice des droits, ou se contente-t-il d’un habillage moderniste masquant la perpétuation de pratiques autoritaires? Le silence entourant cette réforme pourrait bien être aussi éloquent que les dispositions qu’elle contient. Analyse
 
Une adoption en force malgré les critiques
 
Dans un climat politique tendu, la majorité gouvernementale à la Chambre des représentants, forte de sa supériorité numérique, a imposé son texte par un vote mécanique après avoir systématiquement rejeté – sans véritable examen – les 47 amendements proposés par l’opposition ittihadie et les 32 recommandations formulées par les organisations de défense des droits humains. Ce passage en force, réalisé lors d’une séance plénière mouvementée le 20 mai 2025, s’inscrit dans une série de réformes judiciaires menées sans concertation réelle, confirmant une dérive autoritaire qui transforme le Parlement en simple Chambre d’enregistrement.
 
Une réforme en trompe-l’œil 
 
Lors de cette séance plénière, le Groupe socialiste–Opposition ittihadie a dénoncé un texte qu’il juge profondément défaillant. Malika Zakhnini, députée de l’USFP, a fustigé un projet «prisonnier d’une vision sécuritaire obsolète», où les promesses de modernisation judiciaire masquent mal l’absence de garanties concrètes en matière de droits fondamentaux. 

Le texte, présenté comme une avancée majeure pour la modernisation de la justice, souffre en réalité d’une approche brouillonne et contradictoire. La députée membre du groupe d’opposition de l’USFP a pointé du doigt une confusion dangereuse entre politique pénale législative et politiques publiques, soulignant que «tout échec de l’Etat en matière d’éducation, de santé ou d’emploi se répercute mécaniquement sur l’efficacité du système judiciaire».  D’autant que plusieurs rapports officiels – notamment ceux du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire (DGAPR) – dressent un constat accablant concernant l’explosion des dossiers judiciaires, l’engorgement des tribunaux et des délais interminables;  ainsi que la détention provisoire abusive, avec un taux record qui transforme les prisons en dépotoirs judiciaires et l’augmentation des crimes économiques (cols blancs) et des infractions juvéniles, symptôme d’un malaise social plus profond. 

Pourtant, malgré ces dysfonctionnements structurels, le projet de loi ne propose aucune solution audacieuse. La révision du Code pénal, pourtant indispensable pour donner une cohérence à la réforme, reste lettre morte, réduisant à néant l’impact des modifications procédurales. 
 
Des lacunes qui inquiètent la société civile 
 
De son côté, la société civile tire la sonnette d’alarme notamment concernant l’article 3 du projet qui cristallise les craintes puisqu’il expose les élus à une judiciarisation politique tout en ouvrant la porte à une instrumentalisation des ONG dans des campagnes ciblées ou vindicatives. «On assiste à un double standard inacceptable : d’un côté, on libère la main des associations caritatives proches du pouvoir, et de l’autre, on muselle celles qui osent dénoncer la corruption ou les dérives autoritaires», a dénoncé Zakhnini. 

Les critiques ne se limitent pas au seul Parlement. Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption (INPPLC) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont tous émis des avis défavorables, soulignant l’absence de protection des populations vulnérables (femmes victimes de violences, migrants, détenus) ;  le flou sur la numérisation de la justice, pourtant présentée comme une priorité  et l’élargissement des possibilités de réconciliation dans des affaires graves, sans garanties contre l’impunité. 
 
Un ministre sur la défensive, une démocratie en recul ? 
 
La réaction du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, face à ces critiques, en dit long sur l’état du débat démocratique. Dans une sortie tonitruante, il a balayé d’un revers de main les réserves des institutions consultatives, les qualifiant de «bureaucrates nommés et surpayés», opposés à sa propre légitimité électorale. Une rhétorique populiste qui s’attaque aux contre-pouvoirs plutôt qu’elle ne répond sur le fond. 

Pire, cette posture traduit une dérive inquiétante, à savoir la volonté de réduire l’espace de participation citoyenne au profit d’un Parlement croupion, où les décisions se prennent en cercle fermé. 
 
Une réforme à revoir en profondeur 
 
Si le projet comporte quelques avancées techniques (enregistrement audiovisuel des interrogatoires, accès précoce à un avocat), il reste marqué par une approche sécuritaire et répressive, loin des standards d’une justice équitable et indépendante. 

Le manque de transparence dans son élaboration, l’absence de dialogue avec la société civile et le mépris affiché à l’égard des critiques institutionnelles en font un texte à haut risque. Sans un réexamen en profondeur, cette réforme pourrait aggraver les dysfonctionnements qu’elle prétend résoudre, tout en fragilisant un peu plus l’Etat de droit au Maroc.  Le vrai test ne sera pas son adoption, mais son application – et là, les doutes sont légion. 

Hassan Bentaleb  

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