a
a
HomeActualités du NetLe Maroc “pays d’origine sûr” sur proposition de la Commission européenne : A nouveau statut, nouvelle donne

Le Maroc “pays d’origine sûr” sur proposition de la Commission européenne : A nouveau statut, nouvelle donne

Le Maroc “pays d’origine sûr” sur proposition de la Commission européenne : A nouveau statut, nouvelle donne
Le Maroc “pays d’origine sûr” sur proposition de la Commission européenne : A nouveau statut, nouvelle donne
La Commission européenne a proposé, début avril, d’inscrire le Maroc sur la liste des « pays d’origine sûrs », aux côtés de six autres dont le Kosovo, la Tunisie, l’Inde et la Colombie. Une désignation qui pourrait avoir des conséquences non négligeables sur la politique migratoire européenne, mais aussi sur le tissu social et politique marocain.  Il revient au Parlement et  au Conseil européens d’approuver cette proposition.

La Commission européenne justifie cette mesure par le faible taux de reconnaissance des demandes d’asile provenant de ces pays, inférieur à 5%. En 2024, plus de 200 000 ressortissants de ces mêmes pays ont sollicité l’asile dans l’UE. L’objectif est de désengorger les systèmes d’asile nationaux et de réduire la pression sur les infrastructures d’accueil, en particulier dans les pays se trouvant en première ligne comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce. Cette proposition s’inscrit dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile, adopté en 2024, dont certaines dispositions ne seront pleinement mises en œuvre qu’en 2026. En attendant, la Commission souhaite anticiper certaines mesures pour répondre à l’urgence migratoire.
 
Garanties procédurales
 
Malgré l’accélération des procédures, la Commission assure que chaque demande d’asile continuera d’être examinée individuellement, avec la possibilité de recours devant les juridictions nationales. L’inscription d’un pays sur la liste des « pays d’origine sûrs » ne signifie pas une exclusion automatique du droit d’asile, mais établit une présomption de sécurité qui peut être contestée par le demandeur.
 
Un statut qui change la donne
 
« Cette mesure, initialement adoptée au niveau de chaque pays, a finalement été intégrée au cadre européen suite à l’adoption du Pacte sur la migration et l’asile en 2024. Elle s’inscrit dans une série de réformes plus larges visant à moderniser et à harmoniser les législations relatives à la migration et à l’asile au sein de l’Union européenne, indique Said Machak, enseignant-chercheur en droit international sur la migration et l’asile. Rappelons qu’à cette fin, des dizaines de lois ont été révisées afin d’assurer une plus grande cohérence entre les systèmes juridiques des Etats membres, tout en renforçant leur convergence politique sur ces questions sensibles ». 

Pour notre interlocuteur, « l’objectif principal de cette disposition est d’accélérer le traitement des demandes d’asile, ou, pour être plus précis, de permettre un filtrage plus rapide et plus strict des dossiers afin de réduire le nombre de procédures en attente ». « Derrière cette rationalisation administrative se cache une logique avant tout sécuritaire, conforme à l’approche restrictive que l’UE a progressivement adoptée pour maîtriser les flux migratoires. Il ne s’agit pas seulement de simplifier les démarches, mais aussi d’écarter un volume significatif de demandes», nous a-t-il déclaré.
Et d’ajouter que « la question de savoir si le Maroc figure ou non sur les listes établies par l’UE dans ce cadre est secondaire et n’a aucune incidence sur l’image ou la position du Royaume ». « Pour Rabat, cette mesure relève d’une démarche unilatérale et souveraine de l’Union européenne, qui ne remet pas en cause les relations bilatérales entre les deux parties. Le Maroc, qui dispose de sa propre politique migratoire, perçoit cette évolution comme une décision interne à l’UE, sans implication directe sur sa coopération avec Bruxelles », nous a-t-il révélé.  Et de préciser : « En somme, cette réforme s’inscrit dans une vision essentiellement sécuritaire, reflétant la priorité accordée par l’UE au contrôle des frontières et à la lutte contre l’immigration irrégulière. Elle illustre une tendance plus large où les considérations de gestion des flux priment sur les approches purement humanitaires, confirmant ainsi l’orientation de plus en plus restrictive des politiques migratoires européennes ». 
 
Une diplomatie de la migration renforcée
 
Pour d’autres experts, cette proposition s’inscrit dans la continuité des accords bilatéraux signés entre le Maroc et plusieurs pays européens, notamment l’Espagne et la France. Elle renforce le rôle de « gendarme » que le Royaume joue aux portes de l’Europe, en échange de financements européens et de facilités commerciales. « Le Maroc est un partenaire clé dans le contrôle des flux migratoires en Méditerranée. Cette décision est aussi un signal politique, pour récompenser sa coopération », analyse une source diplomatique européenne.
Mais ce statut pourrait également gêner Rabat. Si l’Etat y gagne en crédibilité diplomatique, il pourrait se heurter à une contestation sociale et politique interne, notamment si les retours massifs de migrants viennent gonfler les rangs des jeunes désoeuvrés dans les régions du Nord ou de l’Oriental.
 
Des retours forcés sous surveillance
 
Sur le terrain, les ONG s’inquiètent déjà des conséquences humaines de cette mesure. « Ce n’est pas parce que le Maroc est stable qu’il n’y a pas de risques individuels : militants, journalistes, personnes LGBTQI+ peuvent être en danger chez eux », prévient une responsable associative à Tanger.
Les expulsions pourraient augmenter, parfois dans des conditions dérogatoires aux droits fondamentaux. Plusieurs cas de renvois controversés ont déjà été recensés ces dernières années, notamment en Italie et en Espagne.
 
Une jeunesse désabusée
 
La décision de l’UE intervient dans un contexte où la jeunesse marocaine manifeste un désir croissant de partir, souvent de manière irrégulière. Les opportunités de travail, d’éducation ou de formation professionnelle à l’étranger sont rares, et la fermeture symbolique du droit d’asile pourrait accentuer ce sentiment d’étouffement.
Pour les chercheurs et universitaires, cette décision risque aussi de nourrir une forme de défiance envers les institutions européennes, accusées de favoriser une gestion purement sécuritaire de la migration.
 
Un signal fort aux conséquences incertaines
 
En déclarant le Maroc pays d’origine sûr, la Commission européenne fait un pari : celui que le pays pourra encaisser socialement, politiquement et diplomatiquement une nouvelle responsabilité en matière de gestion migratoire. Mais ce statut, aussi stratégique soit-il, pourrait bien avoir des effets pervers, en renforçant l’instrumentalisation des migrants et en exacerbant les tensions sociales internes.
Reste à savoir si le Parlement européen, souvent plus attentif aux droits fondamentaux, validera cette nouvelle architecture migratoire.

Hassan Bentaleb 

LibérationRead More