Grâce au séquençage de 109 génomes, une équipe marocaine révèle une richesse génétique jusqu’ici ignorée et propose un modèle ADN de référence, spécifiquement marocain. Décryptage.
![Génétique : Les dessous d’un projet scientifique inédit au Maroc [INTÉGRAL] Génétique : Les dessous d’un projet scientifique inédit au Maroc [INTÉGRAL]](https://www.lopinion.ma/photo/art/default/87970447-62330273.jpg?v=1744884993)
Une nouvelle étude publiée dans la prestigieuse revue scientifique
Nature a récemment permis à une équipe de scientifiques marocains de franchir une étape inédite : séquencer l’ADN complet de 109 personnes, pour établir une première carte de la diversité génétique du Maroc. Ces travaux s’inscrivent dans le
Moroccan Genome Project, un effort local pour combler un vide dans les grandes bases de données génétiques mondiales, qui représentent mal les populations nord-africaines. Même les projets dédiés à l’Afrique, comme l’AGVP (African Genome Variation Project), ont exclu cette région. Les participants – tous volontaires – ont été recrutés à Casablanca, Agadir et Laâyoune. En analysant leur génome complet, les chercheurs ont pu collecter des données essentielles sur les variantes génétiques présentes dans le pays. Il s’agit d’un premier socle de connaissance, pensé pour servir de base à des recherches futures en santé publique, génomique humaine et médecine de précision.
Variantes inédites
L’analyse a révélé plus de 27 millions de variations dans le code génétique des personnes étudiées. Parmi elles, environ 1,4 million sont considérées comme inédites, car elles n’avaient jamais été répertoriées dans les grandes bases internationales. Ces découvertes viennent enrichir le catalogue mondial de la diversité génétique. Certaines de ces variantes sont très fréquentes dans la population marocaine, mais rares, voire absentes, ailleurs dans le monde. Les chercheurs ont compté plus de 15.000 variantes avec ce profil. Ces résultats montrent que les populations du Maroc ont des caractéristiques génétiques distinctes, qui ne peuvent être représentées fidèlement par les modèles utilisés jusqu’ici. Toutefois, les auteurs prennent soin de souligner qu’ils ne tirent pas de conclusions cliniques de ces résultats : «Cette étude ne vise pas à établir des liens avec des maladies précises, mais à créer une base de données fiable pour soutenir la recherche biomédicale».
Génome local
Au-delà de l’identification des variantes, les chercheurs ont généré un génome de référence basé sur les versions les plus fréquentes de chaque gène chez les participants étudiés. Ce modèle, baptisé Moroccan Major Allele Reference Genome (MMARG), reflète mieux la diversité génétique locale que les modèles standards comme GRCh38 (Genome Reference Consortium HumanBuild 38), construits à partir d’un échantillon d’origine américaine et européenne. Le MMARG ne remplace pas ces références, mais les complète : il peut améliorer la précision de l’interprétation des données ADN lorsqu’elles concernent des personnes d’origine marocaine. C’est une avancée importante pour la médecine personnalisée, qui s’appuie sur les particularités génétiques d’un individu pour adapter le diagnostic ou le traitement. En disposant d’un outil fondé sur des données marocaines, les professionnels de santé et chercheurs disposent désormais d’une base plus représentative pour les populations locales.
Étapes suivantes
Les auteurs ne manquent par ailleurs pas de préciser que cette étude n’est qu’un point de départ. Ils appellent à élargir la base de données à d’autres régions et à une population plus diversifiée, pour mieux refléter la complexité génétique du Maroc. Ils insistent également sur l’importance du respect de l’éthique, de la confidentialité des données et de la qualité des échantillons. A noter que cette initiative s’inscrit dans une dynamique globale visant à corriger les déséquilibres dans la représentation des populations à l’échelle de la recherche scientifique. Grâce au MMARG, les données produites par le projet pourront être intégrées aux bases internationales, et offrir ainsi une meilleure visibilité à la diversité nord-africaine. Les chercheurs concluent que ces résultats «fournissent une base de référence informative», susceptible de soutenir des efforts locaux en génomique, et d’ouvrir la voie à une médecine de précision mieux adaptée aux réalités du pays (lire interview).
3 questions au Dr Elmostafa El Fahime, biologiste moléculaire et cellulaire, spécialiste en génomique «L’accès à l’information génétique va devenir un enjeu économique et sanitaire de premier ordre»
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- Pourquoi les premières analyses ont-elles uniquement porté sur des personnes originaires de Casablanca, Agadir et Laâyoune ?
– Ce n’était pas un choix prédéfini. Les participants ont tous été recrutés à Rabat, mais leurs origines familiales renvoyaient à ces trois villes. Rabat est une ville à forte mobilité, ce qui nous a permis de constituer un premier échantillon diversifié. Pour les prochaines phases, nous allons cibler plus précisément certaines régions : le Nord, historiquement lié à l’Europe, le Sud, marqué par des échanges avec l’Afrique subsaharienne, et d’autres zones du pays. L’objectif est d’avoir une base représentative de l’ensemble des composantes de la population marocaine.
- Quel est justement le cap fixé pour les prochaines étapes du Moroccan Genome Project ?
– Notre objectif est de séquencer au moins 1000 génomes marocains. Ce chiffre permettra d’affiner significativement notre modèle de référence et de le rendre évolutif. À chaque avancée technologique, ce génome pourra être mis à jour pour rester fidèle à la diversité marocaine. À terme, nous espérons voir émerger un consortium national fédérant les différentes initiatives dans le pays, avec une base de données unifiée et accessible à la recherche. C’est essentiel pour renforcer la souveraineté génomique du Maroc et pour accompagner l’essor d’une médecine de précision réellement adaptée à nos réalités.
- En quoi cette démarche s’inscrit-elle dans un enjeu plus large, à l’échelle africaine ?
– L’Afrique représente moins de 2% des données génomiques mondiales. C’est un déséquilibre majeur. Chaque pays a désormais la responsabilité de constituer sa propre base pour répondre aux besoins spécifiques de sa population. C’est aussi une question stratégique : l’accès à l’information génétique va devenir un enjeu économique et sanitaire de premier ordre. Produire, maîtriser et analyser nos propres données est un impératif de souveraineté scientifique. Et au-delà de nos frontières, certaines spécificités marocaines pourraient bien se révéler utiles à la recherche mondiale.
Afrique du Nord : Surprenants liens entre la Libye néolithique et le Maroc préhistorique
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Deux femmes qui vivaient il y a 7000 ans dans le Sud de la Libye viennent de révéler une histoire génétique étonnante publiée début avril 2025 dans Nature. L’ADN extrait d’ossements retrouvés dans l’abri rocheux de Takarkori, montre qu’elles appartenaient à une lignée humaine aujourd’hui disparue, propre à l’Afrique du Nord. Cette lignée est différente de celle des populations subsahariennes, mais aussi des groupes humains vivant hors d’Afrique. Selon les chercheurs, elle serait restée isolée pendant des milliers d’années, sans se mélanger aux autres populations connues. Les auteurs (marocains, libyens et européens) ont aussi découvert que ces femmes partagent des points communs avec d’anciens chasseurs-cueilleurs du site de Taforalt, au Maroc, qui vivaient 8000 ans plus tôt. Ces deux groupes sont également éloignés des peuples d’Afrique subsaharienne. Cela signifie qu’il n’y a probablement pas eu d’échanges importants entre le Nord et le Sud du Sahara, même à une époque où le désert était verdoyant et habité. Autre découverte : ces femmes possédaient un peu d’ADN néandertalien, hérité d’ancêtres anciens. Mais cette part est dix fois plus faible que celle mesurée chez les premiers agriculteurs du Proche-Orient. D’après les chercheurs, cela confirme que le pastoralisme s’est répandu dans le Sahara non pas grâce à des migrations humaines, mais plutôt par transmission culturelle entre groupes. Cette population ancienne du Sahara était donc unique, isolée, et génétiquement différente de toutes celles que nous connaissons aujourd’hui.
Applications : Le génome marocain au service d’une médecine mieux ciblée
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Le génome, c’est-à-dire l’ensemble de notre matériel génétique, contient des informations précieuses sur notre santé. La médecine de précision s’appuie sur l’analyse de ces données pour proposer des traitements mieux adaptés à chaque individu. Contrairement à la médecine dite «standard», qui applique une approche unique à tous, cette méthode prend en compte les différences génétiques entre les personnes et s’adapte en conséquence. Pour fonctionner, la médecine de précision doit s’appuyer sur des bases de données représentatives de la diversité humaine. Or, la majorité des références actuelles sont basées sur des populations européennes ou nord-américaines. C’est pourquoi des projets comme celui du Moroccan Genome Project sont essentiels : en identifiant les variantes les plus fréquentes dans la population marocaine, ils permettent d’ajuster les diagnostics et les traitements aux spécificités locales. À terme, cela peut améliorer l’efficacité des soins et réduire les risques d’erreurs médicales.
Repères
Répartition des participants
Les 109 génomes marocains séquencés (par les scientifiques qui ont établi la première carte de la diversité génétique du Maroc) proviennent de participants issus de trois villes : 61 à Casablanca, 30 à Agadir et 18 à Laâyoune. L’échantillon comprend 57% de femmes. Cette composition permet d’obtenir une première photographie génétique représentative de plusieurs zones géographiques du pays, bien que l’étude souligne le besoin d’élargir l’échantillonnage à d’autres régions pour renforcer la diversité.
Profil génétique
L’étude scientifique, qui vient combler les lacunes des connaissances sur les spécificités du génome marocain, révèle que le profil génétique des participants marocains se situe entre celui des populations d’Afrique subsaharienne et celui des populations d’Eurasie. Ce positionnement intermédiaire, associé à une forte diversité interne, souligne la complexité des origines génétiques au Maroc. Pour les auteurs, cela justifie pleinement la création d’un modèle de référence spécifique, distinct des standards internationaux actuels.
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