Dans cet entretien, le juriste Chakib Khayari met en lumière les avancées significatives du projet de loi n° 03.23 modifiant la procédure pénale, tout en soulignant les zones d’ombre et les inquiétudes persistantes.

Une des mesures centrales est la clarification des règles de la garde à vue, qui sera désormais limitée aux cas de crimes graves, avec des garanties accrues pour les individus, telles que l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Par ailleurs, des alternatives à la détention provisoire (bracelet électronique, surveillance judiciaire) sont proposées, et des critères stricts encadrent désormais sa mise en œuvre.
Le projet instaure également des mécanismes visant à prévenir la torture, avec l’obligation d’un examen médical systématique lors de la garde à vue. Le rôle du juge est renforcé, notamment en matière de motivation des décisions concernant les preuves et les aveux. La surveillance des conditions de détention est aussi améliorée, avec des visites régulières des magistrats et un élargissement des commissions régionales de surveillance.
Enfin, la réforme accorde une place prépondérante à l’avocat, qui pourra intervenir dès l’enquête préliminaire, et dans toutes les étapes de la procédure. Des mécanismes de simplification, comme la conciliation pénale et l’utilisation accrue du numérique, visent à rendre la justice pénale plus efficiente. De nouvelles formes de coopération internationale, telles que les équipes communes d’enquête, sont également introduites pour mieux lutter contre la criminalité transnationale.
-L’axe relatif à la réinsertion dans la réforme du Code pénal est crucial. Comment évaluez-vous l’efficacité des mécanismes de réinsertion existants et en quoi la réforme pourrait-elle apporter des solutions plus pérennes pour réduire la récidive ?
-Les mécanismes de réinsertion actuellement en place souffrent de plusieurs limites structurelles : insuffisance du suivi post-carcéral, obstacles persistants à l’accès à l’emploi, et manque de coordination entre les différents acteurs institutionnels.
Ces défaillances contribuent à fragiliser le processus de réintégration sociale des anciens détenus et augmentent, de manière corrélative, les risques de récidive. La réforme du Code pénal se présente dès lors comme une opportunité décisive pour renforcer ces dispositifs et poser les bases d’une politique pénale plus humaine et plus efficace.
Le texte législatif pénal qui ambitionne de fournir une base solide pour la réinsertion doit impérativement encadrer, de manière rigoureuse, ce que l’on appelle les institutions de clémence. Celles-ci désignent un ensemble de mesures juridiques visant à atténuer la sévérité de la peine ou à alléger le traitement réservé au prévenu ou au condamné, en tenant compte de considérations humaines ou sociales.
Dans cette perspective, le projet de loi relatif à la procédure pénale prévoit une disposition visant à réduire le délai nécessaire avant que le condamné puisse demander sa réhabilitation judiciaire, dans le but d’effacer toute mention de l’infraction dans les extraits de casier judiciaire exigés pour l’emploi. Une telle mention constitue, en effet, un véritable obstacle à l’insertion professionnelle, de nombreux employeurs refusant d’embaucher des personnes condamnées.
En outre, le projet prévoit une exemption de ce délai si le condamné obtient un certificat de l’administration pénitentiaire attestant de sa bonne conduite durant l’exécution de la peine, de sa participation à des programmes de réinsertion, ainsi que de sa réussite à une formation professionnelle ou artisanale le qualifiant pour une réintégration effective dans la société, notamment par l’accès à un emploi.
Dans la même logique, le projet introduit également un nouveau mécanisme de réduction automatique de peine, permettant aux détenus ayant démontré une amélioration de leur comportement de bénéficier d’une réduction de quatre jours par mois si la peine est d’un an ou moins, d’un mois pour chaque année de peine, et de deux jours par mois si la peine excède une année. Cette mesure incitative contribue non seulement à désengorger les établissements pénitentiaires, mais aussi à encourager activement l’effort de réinsertion individuelle.
Il est toutefois à noter que ce projet ne prévoit aucune modification concernant la grâce royale, puisqu’il maintient les dispositions actuellement en vigueur, que ce soit dans le Code de procédure pénale, la loi sur la grâce ou dans d’autres textes particuliers.
Il semble ainsi que le gouvernement ne souhaite pas dépasser les limites imposées par le régime actuel, lequel exclut notamment les amendes prononcées au profit des administrations publiques.
Par ailleurs, la grâce collective, en particulier, ne peut être accordée que lors de la Fête du Trône ou des fêtes religieuses. En outre, la grâce ne conduit pas à l’effacement de l’infraction, bien qu’elle puisse être prononcée avant même l’engagement des poursuites et suspendre le cours de la procédure. Il serait dès lors opportun d’élargir les prérogatives royales en matière de clémence, notamment dans le cadre d’une future réforme constitutionnelle, en envisageant la reconnaissance du droit d’accorder une amnistie générale.
– Concernant la présence de l’avocat lors de l’enquête préliminaire menée par la police judiciaire, cette question est un enjeu majeur pour garantir les droits de la défense. Quelles sont les avancées ou les lacunes de la réforme du Code pénal concernant ce droit fondamental ?
– La question de la présence de l’avocat lors de l’enquête préliminaire menée par la police judiciaire constitue un enjeu fondamental pour la protection des droits de la défense, et plus particulièrement du droit à un procès équitable.
Si le projet de réforme du Code de la procédure pénale vise, en théorie, à renforcer cette protection, il met en évidence certaines limites qui méritent d’être examinées en profondeur. Tout d’abord, l’article 66-2 du projet de loi prévoit que la rencontre entre l’avocat et son client, en garde à vue, reste limitée à une durée de 30 minutes, ce qui, certes, pourrait paraître suffisant pour une consultation préliminaire.
Cependant, cette limitation de temps semble insuffisante face à la complexité des situations pouvant se présenter durant la garde à vue, en particulier lorsque les interrogatoires sont longs ou que des éléments nouveaux émergent dans le dossier.
De plus, cette rencontre ne peut avoir lieu qu’après une durée équivalente à la moitié du temps initial de la garde à vue, ce qui restreint encore l’accès de l’avocat à son client, en particulier dans les premières phases de l’enquête.
L’une des lacunes les plus notables du projet de réforme demeure l’exclusion de la présence de l’avocat durant l’interrogatoire de son client, une situation qui est de plus en plus jugée excessive.
En effet, cette absence de représentation légale pendant un interrogatoire peut porter atteinte à l’équité de la procédure et risque de priver le suspect de ses droits les plus fondamentaux.
Ainsi, bien que le projet de réforme propose certaines avancées, notamment en matière d’accès de l’avocat à son client, la situation reste marquée par des lacunes notables qui risquent de compromettre le droit fondamental à la défense.
Le projet pourrait donc être davantage renforcé, notamment en permettant la présence systématique de l’avocat lors de tous les interrogatoires, afin de garantir pleinement le respect des droits de la personne gardée à vue, et ce, en conformité avec les standards internationaux de justice.
– L’article 3 du projet de réforme du Code pénal a soulevé des inquiétudes quant à son impact potentiel sur la capacité des associations à lutter efficacement contre la corruption. Quelles sont vos principales préoccupations concernant cet article ?
– L’article 3 du projet de loi a suscité un large débat dans les milieux juridiques. Certains estiment qu’il limite le pouvoir du Ministère public dans la poursuite des crimes de corruption financière en conditionnant l’engagement de l’action publique à la transmission des dossiers par certaines entités administratives, à l’exception des cas de flagrant délit, tandis que d’autres considèrent qu’il vise à organiser le traitement de ces affaires dans un cadre légal structuré et précis. Toutefois, de nombreuses critiques ont porté sur certains aspects du texte, jugés inexacts sur le plan juridique, tant en ce qui concerne la législation nationale que la Convention des Nations Unies contre la corruption.
Parmi les critiques soulevées à l’égard de cet article, il est avancé qu’il contrevient à l’article 13 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, qui préconise que les individus et les associations aient la possibilité de signaler des cas de corruption devant la justice. En ce qui concerne les cas de flagrant délit dans les infractions financières, certains affirment que ces situations ne sont pas envisageables légalement en raison de la nature même de ces crimes. De plus, l’article 3 a soulevé des inquiétudes concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, étant donné qu’il impose au Ministère public de soumettre la poursuite des affaires de corruption à une demande provenant de certaines autorités administratives, limitant ainsi sa liberté de décision dans la conduite des enquêtes, ce qui soulève des préoccupations quant à l’impact de ces restrictions sur l’efficacité de la lutte contre la corruption.
Un autre reproche formulé à l’encontre de cet article est qu’il serait en contradiction avec la Convention des Nations Unies contre la corruption, en limitant le droit des associations à déposer directement des plaintes concernant les fonds publics auprès du Ministère public. Cependant, cette interprétation est en contradiction avec une lecture précise des textes de la Convention, qui ne stipule pas que les États parties doivent permettre aux individus ou aux associations de lancer directement des poursuites judiciaires, mais leur laisse la liberté de définir les mécanismes appropriés pour signaler et poursuivre la corruption.
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