El Mordjane, la fameuse pâte à tartiner algérienne devenue un phénomène en France grâce aux réseaux sociaux, fait son entrée au Maroc à travers les voies sinueuses de la contrebande. Nous sommes allés sur ses traces, entre les épiceries de Rabat et les multiples pages d’Instagram et de TikTok qui la proposent désormais en livraison à domicile, à des prix élevés qui défient toute logique.
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«Dès la mi-été, nous avons constaté que de plus en plus de parents accompagnés ou non de leurs enfants, venaient nous demander si nous avions El Mordjane dont nous ignorions même l’existence, mon associé et moi à l’époque», nous explique Hamid, gérant d’un magasin de contrebande au quartier Guich qui se réjouit d’être le premier à avoir ramené El Mordjane à Rabat et ses environs. Il ajoute : «Cette insistante demande des clients nous a incité à demander à nos fournisseurs, au Nord du Maroc et à Casablanca, s’ils en disposaient. Ce à quoi ils répondaient par la négative tout en nous promettant qu’ils étudiaient les moyens de s’en procurer. Les premières livraisons ont commencé en octobre. Malgré le prix élevé, ce produit s’écoule relativement bien et nous en vendons une moyenne de cinquante pots par mois».
Tout en déclarant vaguement qu’El Mordjane serait légalement importée au Maroc depuis le Royaume-Uni par des commerçants basés à Casablanca, Hamid ne nous en dit pas plus concernant les circuits d’approvisionnement qui restent aussi diffus qu’inextricables comme c’est de rigueur en matière de contrebande. En revanche, pour ce qui est du risque de saisie ou de contrôle sanitaire et autre, il est catégorique : «Du moment que les autorités ferment les yeux sur le Nocilla et le fromage rouge espagnols, ainsi que la multitude d’autres produits de contrebande d’autrefois qui rentrent désormais au Maroc de manière plus ou moins légale après acquittement ou non des taxes douanières, pourquoi viendrait-on m’enquiquiner pour El Mordjane. Il est algérien certes, mais c’est pareil pour les dattes algériennes Deglat Nour qui sont vendues ouvertement depuis longtemps et surtout en cette période d’avant-Ramadan».
Comme Hamid, les clients marocains d’El Mordjane ne sont pas embarrassés outre-mesure par sa provenance d’un pays avec lequel nous sommes pourtant en situation de quasi-guerre et dont le régime nous voue une détestation légendaire. «Vous savez, la politique n’a pas droit de cité dans ces histoires de produits de consommation courante. À ce que je sais, les algériens consomment plus marocain que les marocains ne consomment algérien de toute façon», tranche Lamiae, jeune maman cliente de Hamid qui avoue avoir cédé au pressing de sa petite fille, Lilya, tombée sous le charme d’El Mordjane par la force des réseaux sociaux, mais aussi par mimétisme envers ses camarades d’école dont plusieurs lui avaient parlé de cette pâte à tartiner au goût de Kinder Bueno qu’elle voulait donc absolument tester.
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«En supposant que El Mordjane soient importée légalement au Maroc comme un produit fabriqué en Turquie en vertu de l’accord de libre-échange qui nous lie avec ce pays, pourquoi donc elle n’est pas vendue librement dans les grandes surfaces et autres magasins qui ont pignon sur rue ?», s’interroge à juste titre, le Président de l’Association des Protection du Consommateur (UNICONSO), Ouadie Madih. «Et même si elle était effectivement importée de Turquie, pourquoi les pots vendus au Maroc ne portent pas l’estampille de l’ONSSA qui atteste de la salubrité des produits alimentaires et autres vendus au Maroc», ajoute notre interlocuteur.
Et effectivement, mis-à-part l’indication certainement frauduleuse de fabrication en Turquie, les pots El Mordjane proposés au quartier Guich ne comportent aucune mention de l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires. Ce qui atteste que le best-seller des produits agroalimentaires algériens emprunte comme beaucoup d’autres produits frauduleusement vendus au Maroc, les voies sinueuses de la contrebande. Ce que nous confirme une commerçante en ligne basée à Agadir et spécialisée dans la vente de produits en vogue sur les réseaux sociaux, qui a pignon sur les pages florissantes de Instagram et TikTok. «Des marocains résidents en Tunisie, aux émirats-arabes Unis ou au Qatar en ramènent dans leurs bagages en petites quantités et nous les revendent. Nous nous chargeons ensuite de les commercialiser via les réseaux sociaux au prix de 400 dirhams le pot de 500 grammes, avec le prix de la livraison à domicile inclus». Décidément et que ce soit avec l’Espagne, l’Algérie ou même Israël, les voies du Trabando resteront à jamais impénétrables !
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