Dans le cadre de la réforme du Code de la famille (Moudawana), le Conseil supérieur des Oulémas a rejeté le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage. Cette décision, annoncée le 24 décembre lors de la présentation des principaux axes de la réforme de la Moudawana, suscite de vives réactions au sein de la société civile marocaine.
En 2017, Khadija (nom d’emprunt) pensait avoir enfin obtenu gain de cause. Un test ADN prouvait la paternité biologique de son enfant, né hors mariage. Pourtant, dans un arrêt qui allait faire jurisprudence, paru en 2020, la Cour de Cassation marocaine balayait ses espoirs d’un revers de main : avec ou sans test génétique, l’enfant ne pouvait prétendre à aucun droit vis-à-vis de son père biologique.
Plus de quatre ans après cette décision qui avait secoué les milieux associatifs, l’histoire semble se répéter à plus grande échelle : le Conseil supérieur des Oulémas vient de rejeter catégoriquement le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage, dans le cadre de la réforme tant attendue du Code de la famille. Cette décision, annoncée le mardi 24 décembre lors de la présentation des principaux axes de la réforme de la Moudawana, a provoqué une onde de choc dans la société civile marocaine, tout en ravivant le débat sur la condition des enfants nés hors mariage et de leurs mères.
Plus de quatre ans après cette décision qui avait secoué les milieux associatifs, l’histoire semble se répéter à plus grande échelle : le Conseil supérieur des Oulémas vient de rejeter catégoriquement le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage, dans le cadre de la réforme tant attendue du Code de la famille. Cette décision, annoncée le mardi 24 décembre lors de la présentation des principaux axes de la réforme de la Moudawana, a provoqué une onde de choc dans la société civile marocaine, tout en ravivant le débat sur la condition des enfants nés hors mariage et de leurs mères.
Un rejet qui fait débat
“Décevante” pour les uns, “inattendue” pour d’autres, la décision du Conseil supérieur des Oulémas de rejeter le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage est venue ternir les avancées contenues dans les nouvelles propositions au cœur de la réforme de la Moudawana. Sur les 17 questions soumises à l’instance constitutionnelle par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dix ont reçu une approbation sans réserve, tandis que trois autres ont suscité des contre-propositions significatives, dont le rejet de la filiation par ADN.
Le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, s’est fait le porte-parole de cette position conservatrice en invoquant des “raisons liées à la préservation de la structure familiale”. Selon lui, l’établissement de la filiation par ADN dans ces cas irait “à l’encontre de la Charia et de la Constitution”, notamment son article 32. La Commission de la fatwa argue qu’une telle reconnaissance risquerait de “désagréger l’édifice de la famille en créant un système familial alternatif”.
En guise d’alternative, une autre solution est proposée : responsabiliser les deux parents pour subvenir aux besoins de l’enfant sans établir de lien de filiation formel, permettant ainsi la préservation des droits de l’enfant tout en respectant les cadres religieux et juridiques. Une proposition contestée par les militants de la société civile sondés par «L’Opinion». “C’est une farce mal dissimulée, regrette, non sans ironie, Ghizlaine Mamouni, l’avocate et présidente de l’association Kif Mama Kif Baba. Elle manque de sérieux à plus d’un titre”.
Une ancienne ministre, sous couvert d’anonymat, rappelle que les conséquences de ce rejet sont pourtant lourdes pour les enfants concernés, les pères biologiques n’ayant, dans le système actuel, aucune responsabilité à leur égard, laissant aux mères la charge exclusive des enfants. Si certaines jurisprudences progressistes avaient tenté d’utiliser les tests ADN pour établir la responsabilité paternelle, notamment en matière de nom de famille et de pension alimentaire, “ces tentatives se sont heurtées au conservatisme débridé et téméraire de certains magistrats de la Cour de Cassation”, déplore Me Mamouni.
La balle est dans le camp des parlementaires
La décision du Conseil supérieur des Oulémas en a surpris plus d’un, d’autant plus que la composition du comité de pilotage de la réforme de la Moudawana laissait présager des avancées majeures sur cette question. Il y a d’abord la présence du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, pour qui “les enfants issus d’une grossesse ‘illégitime’ devraient être pris en charge par leur père jusqu’à l’âge de 21, si les tests ADN prouvent la paternité”.
Le comité ad hoc comptait également dans ses rangs Amina Bouayach, présidente du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), dont le mémorandum relatif à la Moudawana insistait sur la protection du droit à la filiation de l’enfant. L’instance constitutionnelle considérait en effet que l’ADN doit être considéré comme “une preuve de filiation dont les frais doivent être supportés par les deniers publics, dans le cas où les mères ou les enfants n’en ont pas les moyens, considérant que la filiation est un droit de l’enfant et que l’Etat a la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour le protéger et garantir ses droits”. Le CNDH va jusqu’à recommander, toujours dans son mémorandum, de “supprimer toute discrimination entre l’enfant né dans le cadre du mariage et celui né en dehors”.
A rebours de ces recommandations, le rejet du Conseil supérieur des Oulémas a pris de court certains membres du comité de pilotage, convaincus que des avancées seront concédées pour le droit à la filiation, selon une source proche du dossier. Si la décision a provoqué l’ire des associatifs, plusieurs voix s’élèvent à l’approche de l’examen du texte au Parlement pour inciter les élus à rectifier le tir. “Dans la perspective du débat parlementaire, nous appelons à l’honnêteté intellectuelle et au courage politique de porter cette réforme jusqu’au bout et faire en sorte qu’elle soit marquée par le sceau de sa conformité à la Constitution de 2011, aux traités internationaux ratifiés par le Maroc et aux droits humains universels”, confie l’avocate Ghizlaine Mamouni. Car, poursuit-elle, “nous sommes à un moment décisif de l’Histoire de notre pays et le monde entier nous regarde. Cette réforme est une opportunité de réparer les injustices du passé et de bâtir un Maroc qui regarde sans peur vers l’avenir”.
Trois questions à Ghizlaine Mamouni : “ Sur l’ADN, la position du Conseil supérieur des Oulémas est inconstitutionnelle ”
- Le Conseil supérieur des Oulémas rejette catégoriquement les tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage. Comment réagissez-vous à cette position ?
– Je dis au Conseil supérieur des Oulémas que sa position est inconstitutionnelle. Maintenir, après la Constitution de 2011, le refus de considérer les enfants nés hors mariage et de leur accorder les mêmes droits à l’égard de leurs deux parents biologiques, constituerait une violation manifeste de la Constitution et devrait être frappé d’inconstitutionnalité. Nous affirmons que les mères célibataires et leurs enfants sont des citoyens marocains à part entière. La Constitution l’affirme également dans son article 32 qui dispose : «[L’Etat] assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale». Pour rappel, la Moudawana actuelle prévoit que les pères biologiques des enfants nés hors mariage n’ont aucune responsabilité d’aucune sorte à l’égard de leurs enfants, les mères devant assumer, quant à elles, l’ensemble de ces responsabilités sous peine de sanctions pénales.
– Le ministre Ahmed Toufiq propose comme alternative de « responsabiliser les deux parents » pour subvenir aux besoins de l’enfant, mais sans établir de lien de filiation formel. Cette solution vous paraît-elle satisfaisante d’un point de vue juridique et en termes de protection des droits de l’enfant ?
- La soi-disant alternative proposée par le ministre des Habous manque de sérieux à plus d’un titre. Comment compte-t-il, sans test ADN, obliger des pères à subvenir aux besoins de leurs enfants alors que, par définition, ils refusent de reconnaître ces enfants ? C’est une farce mal dissimulée.
- Face à ce blocage institutionnel, quelles stratégies juridiques et militantes peuvent être envisagées pour faire avancer la reconnaissance des droits des enfants nés hors mariage, tout en tenant compte du contexte socioculturel marocain ?
– Le débat national est lancé. Nous sommes à un moment décisif de l’Histoire de notre pays et le monde entier nous regarde. Cette réforme est une opportunité de réparer les injustices du passé et de bâtir un Maroc qui regarde sans peur vers l’avenir. Nous ne parlons pas d’abandonner nos valeurs, ni de mimer l’Occident, mais d’accepter, humblement, de faire place à plus de justice et de dignité. Ces valeurs ne sont pas des concepts étrangers à nos traditions : ce sont des idéaux profondément enracinés dans notre culture et notre foi. Les quelques améliorations proposées, bien que significatives, ne sont que la surface d’une réforme qui doit être beaucoup plus profonde et beaucoup plus juste. Car, derrière chaque ligne de la Moudawana actuelle, des vies sont impactées, des rêves sont brisés, des droits sont bafoués.
Circuit législatif : La discussion parlementaire reportée
Initialement prévue le 7 janvier, la réunion de la Commission de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme à la Chambre des Représentants, consacrée à l’examen des propositions d’amendements du Code de la famille, a été reportée. Selon le président de la Commission, Saïd Baaziz, ce report était à la demande de l’Exécutif. Pour l’heure, aucune date n’a été fixée alors que le projet de loi n’a pas encore été présenté en Conseil de gouvernement. En attendant une nouvelle date, le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mehdi Bensaïd, a mis en avant la dynamique du débat national en cours autour de la Moudawana. « Il est tout à fait naturel qu’une société débatte de ces sujets et, par la suite, que le législateur adopte des lois adaptées aux besoins de la société« , a-t-il déclaré. Un débat qui s’annonce animé entre les différents groupes politiques.
Conseil supérieur des Oulémas : Les arbitrages de l’institution
Outre l’ADN, la Commission de la fatwa du Conseil supérieur des Oulémas a proposé plusieurs ajustements concernant les questions d’héritage et de droit familial, tout en laissant certaines décisions à la discrétion du Souverain. Pour les testaments destinés à des héritiers non reconnus par les autres, elle recommande un don plutôt qu’un legs, avec une acquisition différée jusqu’au décès du donateur. Concernant l’annulation du taâssib dans les cas où les héritiers sont des filles, elle suggère de permettre aux parents de faire des donations de leur vivant. Sur l’héritage entre époux de confessions différentes, elle propose des legs volontaires ou la possibilité de fixer une part attitrée, tandis que pour les relations entre enfants adoptés et parents adoptifs, elle envisage soit des legs conditionnels, soit l’acquisition des biens en l’absence d’autres héritiers. La Commission a refusé d’imposer l’accord de la première épouse comme condition à la polygamie, tout en renvoyant cette décision au Souverain, et a rejeté toute remise en question de l’article 400 du Code de la famille qui s’appuie sur le rite malékite, tout en acceptant la possibilité d’ajouter des références compatibles avec les principes religieux et les engagements internationaux du Royaume. Pour rappel, sur les 17 questions présentées au Conseil supérieur des Oulémas, dix ont été approuvées sans réserves ni propositions alternatives.
L’Opinion Maroc – Actualité et Infos au Maroc et dans le monde.Read More