L’amnistie fiscale pour l’année 2024 a permis de régulariser 127 milliards de dirhams, montant qui passait jusque-là sous les radars du fisc. Pour les citoyens ayant participé à l’opération, cette amnistie a été perçue comme une dernière fenêtre d’opportunité avant un durcissement des contrôles fiscaux.
Ces avoirs concernés par l’amnistie sont de différents types, notamment les liquidités détenues sous forme de billets de banque ou sur des comptes bancaires, les biens meubles ou immeubles acquis non destinés à un usage professionnel, les avances en comptes courants d’associés, les comptes d’exploitant et les prêts accordés à des tiers.
Initiée par la Loi des Finances 2024, l’opération représente un succès majeur pour le gouvernement, qui parvient à réduire le volume de liquidités en circulation, lequel avait atteint des niveaux inquiétants ces dernières années, tout en injectant de l’argent frais dans le circuit bancaire et, plus largement, dans l’économie formelle.
Moyennant une contribution libératoire de 5% sur le montant déclaré (ce qui représente plus de 6 milliards de dirhams de recettes fiscales pour l’Etat), un nombre important de citoyens ont donc choisi de régulariser leurs avoirs liquides auprès des autorités.
Mais comment expliquer cet engouement soudain ? Est-ce l’attrait de la “carotte”, à savoir la possibilité d’entrer dans la légalité à un coût relativement avantageux ? Ou bien la crainte du “bâton”, autrement dit, la peur des sanctions fiscales potentielles ?
Bien qu’il soit encore prématuré de déterminer les véritables motivations de ces individus, plusieurs experts consultés par «L’Opinion» s’accordent à attribuer ce phénomène au fait que les citoyens concernés ont perçu cette amnistie comme une ultime fenêtre d’opportunité pour se régulariser, avant un renforcement des contrôles de l’administration fiscale.
Un constat partagé par l’économiste Zakaria Garti, qui analyse cet engouement par la multiplication des contrôles fiscaux et la sévérité dont fait preuve le fisc à l’égard des fraudeurs. “Les citoyens ont bien constaté que les recettes fiscales ont augmenté et que les contrôles fiscaux se sont intensifiés. Par ailleurs, ils perçoivent que l’engagement de l’État dans des chantiers colossaux et très coûteux engendrera des besoins financiers accrus, entraînant inévitablement un durcissement des mesures visant à élargir l’assiette fiscale”, explique-t-il.
En effet, selon les chiffres du ministère des Finances, les recettes fiscales ont affiché une progression moyenne de 9,8% entre 2021 et 2023, soit plus du double de la moyenne de croissance du PIB sur la même période, qui n’a pas dépassé 4,3%. Sur les recettes fiscales nettes de 2023, qui s’élèvent à 190,67 milliards de dirhams, 5,8 milliards ont été générés par les opérations de contrôle sur place effectuées par le fisc.
Ce contrôle sera davantage renforcé en 2025, car la Loi des Finances de cette année a introduit des mesures destinées à renforcer les dispositifs fiscaux de lutte contre la fraude fiscale et à intégrer le secteur informel. Le texte a, dans ce cadre, créé une nouvelle catégorie de revenus soumis à l’Impôt sur le Revenu (IR), comprenant notamment les revenus évalués dans le cadre de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques, dont la source n’a pas été justifiée.
En clair, l’administration fiscale se réserve le droit d’inclure dans la base imposable les revenus non déclarés par une personne physique, issus, par exemple, du travail au noir, de la dissimulation de revenus ou d’activités illicites.
Si le montant déclaré de cash à hauteur de 125 milliards de dirhams paraît important, il doit être relativisé par rapport à l’explosion du cash en circulation que connaît le pays depuis quelques années. “En 2014, le cash en circulation s’élevait à 180 milliards de dirhams. Aujourd’hui, en 2025, il atteint environ 425 milliards de dirhams. En dix ans, l’économie nationale s’est métamorphosée sous le poids de cette masse d’argent liquide en circulation”, constate Zakaria Garti.
Ces volumes de cash ont connu une véritable envolée durant la séquence de Covid-19. En effet, l’argent liquide en circulation est passé de 253 milliards de dirhams au début de 2020 à 312 milliards de dirhams en juillet de la même année. Ce phénomène s’expliquait par la panique qui a saisi les citoyens durant cette période troublée, entraînant une perte de confiance en l’économie et le système bancaire, ainsi qu’une tendance à retirer son argent des banques et le conserver chez soi pour parer à toute éventualité.
Les aides directes versées par l’État aux ménages ayant perdu leurs sources de revenus n’ont pas arrangé les choses. Depuis ce moment-là, le cash n’a pas cessé d’enfler, au point de devenir un véritable fléau qui ronge notre économie et freine son développement. Il représente aujourd’hui près de 30% du PIB, soit un des taux les plus élevés au monde.
Cela, malgré les diverses tentatives de l’État pour y remédier, comme l’introduction de la facturation électronique pour les commerçants ou encore la promotion de nouveaux moyens de paiement, tels que le mobile payment.
Cette amnistie pourra-t-elle recréer un lien de confiance entre le citoyen et l’administration fiscale, tout en réduisant drastiquement la circulation du cash et l’économie souterraine ? “La confiance ne va pas s’établir du jour au lendemain. Il faut la construire sur le long-terme”, estime l’économiste Zakaria Garti. Mais on peut néanmoins adopter des mesures visant à encourager la bancarisation et le recours à des moyens de paiements et de transactions électroniques, en incitant les banques et les plateformes monétiques à baisser leurs coûts par exemple.
L’économiste appelle également le gouvernement à adopter des incitations fiscales pour les personnes souhaitant sortir de l’économie souterraine, en proposant des réductions d’impôts ou des exonérations temporaires, tout en facilitant les démarches administratives, en offrant de l’accompagnement et en mettant en place des mécanismes de soutien financier pour les aider à s’intégrer durablement dans l’économie formelle.
- Comment expliquer les chiffres faramineux de l’amnistie fiscale ?
- Quelles ont été les conséquences de l’explosion du cash en circulation dans notre économie ?
- Cette opération suffira-t-elle à reconstruire la confiance entre les citoyens et l’Etat ?
Cela s’explique, d’une part, par la méfiance envers les institutions financières. Une partie de la population, notamment les travailleurs du secteur informel ou ceux ayant des revenus modestes, hésitent à placer leurs économies dans des banques, craignant des frais élevés, un manque de confidentialité ou une fiscalité perçue comme contraignante.
D’autre part, l’accès limité aux services bancaires dans certaines zones rurales aggrave la situation. De nombreuses régions éloignées ne disposent pas d’agences bancaires ou de distributeurs automatiques, ce qui pousse les habitants à conserver leurs liquidités à domicile.
L’opération avait permis de déclarer 27,8 milliards de dirhams d’avoirs détenus en dehors du Royaume, dépassant largement l’objectif initial de 5 milliards de dirhams fixé par les autorités. Grâce à cette amnistie, près de 19.000 particuliers et entreprises ont déclaré des avoirs détenus à l’étranger, répartis entre un tiers sous forme d’argent liquide et les deux tiers restants en actifs immobiliers et financiers.
Une seconde amnistie a été introduite par la Loi des Finances de 2020, sous le gouvernement El Othmani, avec Mohamed Benchaâboun comme ministre des Finances. Cette amnistie concernait les avoirs liquides non déclarés au fisc et a permis la déclaration de 4,8 milliards de dirhams, générant pour le Trésor une recette de 240 millions de dirhams. 80% des déclarations concernaient des avoirs liquides. Le reste portait sur des biens meubles et immeubles non destinés à un usage professionnel, ainsi que sur des avances en comptes courants d’associés ou en comptes de l’exploitant.
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