Il y a exactement 81 ans, le Parti de l’Istiqlal avait rédigé un Manifeste demandant la pleine indépendance du Maroc. Depuis le temps, le peuple marocain célèbre chaque 11 janvier cet événement qui a constitué un tournant dans l’action populaire pour l’indépendance, l’établissement de la démocratie, la garantie des droits et la dignité des citoyens et le parachèvement de l’intégrité territoriale du pays.
Il a suffi que 66 illustres personnalités du Mouvement national s’enhardissent à signer un manifeste revendiquant légitimement, en pleine deuxième guerre mondiale, l’indépendance du pays pour déstabiliser la Résidence générale du colonisateur français, subordonnée au gouvernement de Vichy. Indépendance et démocratie furent les deux aspirations formulées par les signataires du manifeste qui a bouleversé le cours du protectorat français au Maroc, lequel a fini par succomber à la volonté du peuple marocain et de son Sultan à disposer du destin de leur propre pays.
Dans la continuité de l’esprit du 11 janvier, le Royaume a accompli des pas de géant, accumulant les victoires diplomatiques, notamment via la reconnaissance de plusieurs grandes puissances de la marocanité du Sahara. A cela s’ajoutent les initiatives visant à hisser le Maroc au rang des pays influents et puissants de la région, dont la dernière initiative Royale pour l’Atlantique.
Cet accord, qui illustre la volonté commune du Trône et du peuple d’en finir avec le protectorat pour un Maroc libre et indépendant, a permis d’entamer la phase de revendication publique de l’indépendance et de la souveraineté nationale. A lire rétrospectivement le Manifeste, à regarder la manière dont le problème de l’Indépendance avait été posé, nous restons impression- nés par la force de la revendication qui marqua le contenu du texte, à un moment où le monde sortait difficilement de la Deuxième Guerre mondiale, où la France sortait de l’occupation nazie. Dès les premières lignes, les signataires réclamèrent l’indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale sous l’égide du Roi Mohammed Ben Youssef.
L’indépendance et rien d’autre, mais sous l’autorité du Roi légitime, et seul garant de l’unité et le symbole de la souveraineté. Il y avait à l’évidence une subtile logique dans le propos qui posait la libération comme principe in- contournable. Cette exigence que la libération du Maroc ne pouvait s’effectuer que dans ses frontières naturelles et dans l’intégrité territoriale du Royaume représentait un point de non retour dans la marche du rétablissement du droit d’une Nation à disposer d’elle-même. La commémoration de la journée du 11 janvier cristallise ainsi la volonté de tous les patriotes sincères et dévoués à la cause du peuple de mener ensemble la lutte pour ouvrir de nouveaux horizons, forger une nouvelle mentalité et donner au Maroc démocratique et souverain la place qui lui sied sur la carte du monde.
Un acte fondateur dans l’édification du Maroc moderne Cette édification de l’avenir du Ma- roc, jouissant de son indépendance politique, économique et culturelle et où tous les citoyens profitent de façon égale des fruits de cette indépendance, exige la conjugaison des efforts de tous et la mobilisation de toutes les potentialités pour relever les défis et consolider les fondements d’un édifice solide capable de faire face à tous les défis. Le 11 janvier a été le point de départ pour le peuple marocain afin d’établir la démocratie, de surmonter les obstacles et de disposer de tous les moyens de défense et d’immunité.
La présentation de ce Manifeste le 11 janvier 1944 à feu S.M Mohammed V, au Résident général français, aux consuls de Grande-Bretagne et des États-Unis au Maroc et à l’ambassadeur de l’Union Soviétique, a constitué un cap décisif dans la lutte du peuple marocain. Après avoir pris connaissance de cet important événement, ce peuple libre et fier a organisé des actions dans plusieurs villes. Les autorités coloniales ont alors procédé à l’arrestation de plusieurs leaders du Mouvement national, à la suite de quoi des grèves et des manifestations ont éclaté, particulièrement dans les villes de Rabat, Salé et Fès. Le 11 janvier 1944 concrétise donc le fait que le peuple marocain avait dépassé le stade de revendication des simples réformes économiques, administratives et sociales pour exiger l’indépendance du pays.
Le programme était ainsi tracé et les objectifs définis. Une feuille de route qui servira de socle auquel s’attacheront aussi bien le Roi que les nationalistes marocains autour de lui. Une stratégie a tout de suite pris forme, adaptée aux circonstances nationales, mais en corrélation aussi avec les textes qui fleurissaient un peu partout dans le monde à cette époque sur les mouvements de libération nationale. Aussi bien dans le monde arabe qu’en Asie ou en Afrique.
Ce n’est pas par hasard que des années plus tard, suscitant des échos d’admiration en Afrique et en Asie, le combat de Mohammed V fut évoqué comme une forte illustration de l’engagement politique, fait de sagesse et de détermination. Ce n’est pas non plus un hasard si les autorités coloniales françaises , mesurant la profondeur des liens qui unissaient le Roi et son peuple, n’en démordirent pas une seconde pour briser ce lien sacré et en découdre avec le guide de la nation, propulsé désormais sur la scène nationale et internationale comme un leader dont la force de conviction, l’esprit de sacrifice pour son peuple, la vision lointaine allaient de pair avec le charisme que dégageait sa personne.
Il aura fallu aussi une véritable conspiration, une campagne sournoise d’intrigues et de complots en sous-main, menés par le général Juin et des mercenaires de sous-préfecture, pour réussir à exiler, un matin du 20 août 1953, le Roi et sa famille, le contraindre de force à quitter son pays et à s’éloigner de son peuple. Une véritable forfaiture, c’est ce qu’a été le complot d’un groupe de connétables envers la personne qui incarnait l’histoire millénaire du Maroc et portait tous les espoirs du peuple en lui.
Cet appel solennel eut un retentissement international, compte tenu du fait que la capitale du Nord avait un statut particulier de Place internationale et, de ce fait, servait de caisse de résonance à la revendication royale qui n’était autre que la revendication d’indépendance du peuple.
Le coup de traîtrise du général Juin du 20 août 1953 aura été la sinistre réponse à la ténacité du Souverain, mais qui n’a en rien entamé sa perspicacité et à sa résolution puisqu’en décembre 1952, soit quelques mois auparavant, des révoltes populaires d’une rare violence éclatèrent dans les Carrières centrales de Casablanca après l’assassinat en Tunisie du leader syndical Farhat Hachad, révoltes qui se déroulèrent aussi, surtout, sous l’emblème du soutien au Roi, prenant de court le préfet français de la ville, Boniface et ses troupes. La conjonction entre le Roi et les forces nationales ne faisait plus de doute pour les responsables coloniaux.
D’ailleurs, ils mesurèrent les enjeux non sans gravité et conclurent à la nécessité d’en extirper les racines. Ce qu’ils firent, sans toutefois se rendre compte qu’ils renforçaient la symbiose entre Mohammed V et son peuple, donnant à l’un et à l’autre une légitimité supplémentaire à continuer le combat libérateur au nom de la justice, de la liberté et de la dignité.
Le 16 novembre 1955, après deux an d’exil en Corse et à Antsirabé (Madagascar), après aussi de laborieuses négociations menées à la Celle SaintCloud avec Antoine Pinay et Edgar Faure, Mohammed V regagna le Royaume et y fit un retour triomphal dans une liesse populaire indescriptible qui aura laissé une empreinte indélébile dans la mémoire de millions de marocains.
Les nationalistes du Nord ont tenu à confirmer leur adhésion totale et inconditionnelle aux termes et à l’esprit du Manifeste. Placés sous l’occupation espagnole, les représentants du mouvement national dans ces régions ont tenu à affirmer leur attachement à la terre, à l’histoire et aux valeurs de cette Nation plus que millénaire. Ils ont d’ailleurs mis l’accent sur la notion d’unité du peuple et de son Souverain légitime comme réponse à l’état de fait qui est la dislocation du territoire national par les forces coloniales.
Ils y ont d’ailleurs tenu à préciser que cette union sacrée concernait la totalité des terres injustement spoliées du nord au Sud du Royaume. Union qui s’est concrétisée dans la foulée du combat politique et armé contre les occupants pour aboutir l’indépendance intervenue en 1956.
Majesté, Nous avons appris connaissance des nobles décisions présentées à Votre Majesté par cette élite digne de Marocains authentiques et des valeureux nationalistes combattants issus du Parti de l’Istiqlal. Ces grandes décisions marqueront l’Histoire glorieuse du Maroc car elles sont fondées sur le droit, la justice et l’équité. Elles constituent les revendications de la nation entière et tout le peuple y adhère.
Celui qui s’opposerait à ces aspirations donnerait la preuve de son manque de foi, de son athéisme, de sa traîtrise et de son hypocrisie. Si le Parti de l’Istiqlal élève aujourd’hui la voix en lançant un tel cri, c’est pour porter très haut le nom du Maroc parmi les nations vivantes et les peuples éveillés. Majesté, Nous saisissons cette occasion pour joindre notre voix à celle du Parti de l’Istiqlal, pour appuyer et soutenir cette revendication légitime, exprimant ainsi les sentiments de Votre peuple fidèle dans cette zone du Maroc et réaffirmant à Votre Majesté que nos principes et nos sentiments dans ces régions sont les mêmes que ceux qui animent les Marocains loyaux et tout ce qui vous attriste là-bas, nous chagrine ici, et tout ce qui vous égaie là-bas, nous réconforte ici…
En effet, nous nous considérons comme une partie intégrante du glorieux Maroc et de sa grandeur à travers son Sahara, ses campagnes, ses montagnes, ses plaines, ses fleuves, ses côtes, à travers ses valeureux hommes et ses esprits clairvoyants. Et si nos frères du Sud se plaignent de l’occupant français, au Nord, nous souffrons de deux maux : de l’abject colonialisme espagnol et de la scission de notre grande patrie. C’est comme si un membre était détaché du corps et ni le premier, ni le second ne peuvent remplir leur fonction. Notre malheur est grand en ce sens que nous subissons la misère, l’injustice, l’atteinte à notre religion et les haines racistes. Ces excès visent notre extermination et menacent notre authenticité.
4 Rabiï El Aoual 1363 (29-2-1944)
Les signataires : Abdelkhalek Torrès, Thami El Ouazzani, Ahmed Ghaïlane, Mohamed Tanji, Mohamed Ettnaya, Mohamed Afilal, Haj Mohamed Chorfi, Haj Mohamed Seffar, Taeb Bennouna.
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