Ces dernières semaines, plusieurs sources diplomatiques et médiatiques ont fait état d’un rapprochement imminent entre Rabat et Téhéran. Alors que les sujets de dispute entre les deux pays sont multiples et profonds, arriveront-ils à aplanir leurs différends et refonder un nouveau cadre de coopération ?
Selon ces mêmes sources, ces tractations se dérouleraient sous l’égide de l’Arabie Saoudite, qui, après un affrontement indirect au Yémen, a renoué le dialogue avec l’Iran en 2023 grâce à la médiation de la Chine. Riyad pourrait peser de tout son poids pour convaincre son allié marocain, ainsi que l’ensemble du monde arabe, dont elle est le leader incontesté, de normaliser leurs relations avec leur ancien adversaire.
Pour l’Iran, avec l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, une véritable course contre la montre s’est engagée pour garantir, au minimum, des relations apaisées avec le monde arabe. Fidèle à la doctrine de la « pression maximale » sur Téhéran, le président républicain a promis d’isoler le pays sur les plans économique et diplomatique.
“Conformément à la politique que nous avons menée auparavant et que nous poursuivons dans le 14ème gouvernement, nous accueillerons toujours favorablement l’amélioration des relations avec les pays sur la base des principes de sagesse, d’honneur et d’opportunité, dans le cadre des intérêts du pays et en tenant compte des intérêts de la région et du monde islamique”, a poursuivi le responsable iranien.
D’après des sources diplomatiques citées par le média russe Sputnik Arabic, le Royaume aurait posé trois conditions à une normalisation des relations avec Téhéran. La première exige la cessation de tout soutien au Front Polisario, sous quelque forme que ce soit. Rabat rejette également toute ingérence ou manœuvre iranienne dans la région du Sahel, qu’il considère comme sa profondeur stratégique.
Le Maroc a par ailleurs insisté sur le fait que sa sécurité religieuse et spirituelle constitue une question de sécurité nationale, relevant directement de l’institution de la Commanderie des Croyants, placée sous l’autorité de Sa Majesté le Roi. En conséquence, toute tentative de prosélytisme chiite au sein de la société marocaine est perçue comme une ligne rouge par les autorités.
Téhéran aurait également fourni des équipements plus sophistiqués, notamment des drones. En 2022, lorsque les séparatistes ont affirmé posséder ce type d’aéronefs, le représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies, Omar Hilale, y a immédiatement vu une preuve supplémentaire de “l’infiltration de l’Iran et du Hezbollah à Tindouf et en Afrique du Nord”.
Pour Rabat, tous ces éléments n’ont fait que conforter sa décision, prise en 2018, de rompre ses relations diplomatiques avec Téhéran, accusé de chercher à déstabiliser le Maroc à travers le Polisario. Cette démarche s’inscrit dans la stratégie d’hégémonie du régime chiite, qui s’appuie sur un réseau tentaculaire de proxys actives dans plusieurs pays (Liban, Irak, Syrie, Yémen) pour étendre son emprise sur le monde musulman.
“Le Sahara revêt une importance géostratégique pour l’Iran, étant situé aux portes de l’Europe du Sud, du Sahel et de l’océan Atlantique. Établir une présence solide en Afrique du Nord, grâce à une alliance avec le Front Polisario, permettrait à Téhéran de renforcer son contrôle sur des routes maritimes stratégiques, menaçant les flux internationaux d’énergie et de commerce dans l’Atlantique et le détroit de Gibraltar, qu’il pourrait utiliser comme levier dans ses négociations avec l’Occident”, analyse Sarah Zaaimi, senior fellow auprès du think-tank américain Atlantic Council.
Au sein des instances internationales, les deux pays croisent le fer sur plusieurs autres dossiers. Le Maroc se positionne notamment comme un ardent défenseur de la souveraineté des Émirats Arabes Unis sur les îles de Grande Tunb, Petite Tunb et Abu Musa, situées dans le golfe Persique et annexées par Téhéran après le départ des Britanniques en 1971.
En 1980, en réaction à la décision du Souverain d’accorder l’asile au Shah Mohammad Reza Pahlavi, alors en exil, l’Iran reconnaît la pseudo-RASD, ce qui pousse le Royaume à rompre ses relations diplomatiques avec le nouveau pouvoir en place.
Durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), le Maroc, comme la grande majorité des pays arabes, a soutenu Saddam Hussein, tandis que l’Algérie s’était alignée sur son allié iranien. Les relations entre le Maroc et l’Iran ne sont rétablies qu’en 1991.
Les rapports se réchauffent en 2001, à l’occasion d’une visite du Premier ministre Abderrahmane Youssoufi à Téhéran, avant d’être de nouveau suspendues en 2009 en raison du prosélytisme chiite au sein du Royaume. Elles seront rétablies en 2014, puis à nouveau interrompues quatre ans plus tard.
- L’arrivée de Trump à la Maison-Blanche pourrait-elle freiner les ambitions hégémoniques de Téhéran, notamment en Afrique du Nord ?
- La confrontation entre Israël et l’Iran ces derniers mois a-t-elle poussé Téhéran à cibler directement les pays ayant normalisé leurs relations avec Tel-Aviv ?
- Pensez-vous qu’il y a une fenêtre d’opportunité pour un rapprochement Maroc-Iran ?
Le 22 janvier 1979, le shah arrive à Marrakech, où il séjourne jusqu’au 30 mars de la même année. Le nouvel Iran dirigé par l’ayatollah Khomeini voit cet accueil comme un affront. Pour apaiser les tensions, Hassan II nomme Abdelhadi Tazi ambassadeur à Téhéran en avril 1979, affirmant que l’hospitalité marocaine envers le shah était dénuée d’intentions politiques.
Néanmoins, les relations se détériorent rapidement. En février 1980, l’Iran reconnaît la pseudo-RASD, poussant le Maroc à rompre ses relations diplomatiques. En 1982, les tensions atteignent leur paroxysme lorsque Hassan II, s’appuyant sur une fatwa des oulémas marocains, déclare Khomeini « hérétique ». Cet épisode marque durablement les relations conflictuelles entre Rabat et Téhéran.
Face à cette menace, l’Arabie Saoudite a constitué une coalition arabe comprenant, entre autres, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et le Maroc. En mars 2015, cette coalition a lancé l’opération « Tempête décisive » pour rétablir le gouvernement yéménite reconnu internationalement.
L’opération a impliqué des frappes aériennes massives contre des positions des Houthis et des offensives terrestres menées par les forces locales pro-gouvernementales. Elle visait également à contrer l’approvisionnement en armes des Houthis par l’Iran via des blocus maritimes et aériens.
Le Maroc a activement participé à cette coalition en déployant six avions de chasse F-16. En mai 2015, un avion F-16 marocain a été perdu après avoir été touché par des batteries anti-aériennes des rebelles Houthis. Le corps du pilote marocain, le lieutenant Yassine Bahti, a été rapatrié et inhumé au Maroc. En 2019, le Maroc a décidé de se retirer de la coalition, alors que les relations diplomatiques entre Rabat et Riyad s’étaient sensiblement détériorées.
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