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Le bilan critiquable de la gestion de la migration irrégulière au Maroc : Les chiffres crus de l’Intérieur

Le bilan critiquable de la gestion de la migration irrégulière au Maroc : Les chiffres crus de l’Intérieur
Le bilan critiquable de la gestion de la migration irrégulière au Maroc : Les chiffres crus de l’Intérieur
«54.570 tentatives de migration irrégulière ont été avortées jusqu’à octobre de l’année en cours, 239 réseaux criminels actifs en migration irrégulière ont été démantelés, 16.000 candidats à la migration ont été sauvés par la Marine Royale et 4.388 migrants ont retourné volontairement à leur pays d’origine ». Tel est le bilan du ministère de l’Intérieur en matière de lutte contre la migration irrégulière, présenté dernièrement par le ministre de tutelle, devant la Commission de l’intérieur, des collectivités territoriales, de l’habitat, de la politique de la ville et des affaires administratives, à la Chambre des représentants.

Un bilan jugé « concis, léger et vague» par plusieurs spécialistes en la matière. Selon eux, cet inventaire n’apporte pas des éléments de réponse devant satisfaire les attentes et les besoins des parlementaires et des personnes intéressées par ce dossier. D’autant que la question de la migration représente aujourd’hui l’un des enjeux importants de la politique nationale et celle étrangère. Décryptage.
 
Manque de transparence et insuffisance des données
 
En effet, les spécialistes soutiennent que le bilan du ministère de l’Intérieur reste «avare sur les chiffres et données statistiques relatifs à certains aspects de cette gestion». Ils estiment que «les chiffres relatifs aux tentatives de migration, aux réseaux démantelés et aux retours volontaires sont présentés de manière brute, sans mise en perspective ni analyse de tendances».

Pour ces experts, «l’absence d’indicateurs financiers concernant la lutte contre la migration irrégulière entrave également toute évaluation de l’efficacité et la rentabilité de ces dépenses. Et cela rend difficile toute appréciation sur les résultats des politiques de lutte, en termes de réduction des flux ou d’amélioration des conditions pour les migrants ».

A rappeler que le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait déclaré lors des événements de Sebta en mai 2021, que le Maroc assume seul la totalité des dépenses de la lutte contre la migration irrégulière. Et que «l’Europe ne donne même pas 20% du coût que Rabat assume tout en indiquant que les événements de Sebta ont montré que 99% de l’effort de lutte est fait par le Maroc « qui mobilise ses forces de sécurité et paie de son budget pour préserver son voisinage » contre « rien de l’autre côté ».

 Selon des chiffres cités par le site 360.ma fournis par une source officielle, le Maroc consacre annuellement environ 250 millions d’euros à ce dispositif de sécurité, déployé depuis 2004 dans le Nord du pays. A noter que 23.000 membres des forces de l’ordre, répartis entre police, gendarmerie et forces auxiliaires, patrouillent en permanence, couvrant une large zone allant de Tanger à Oujda. Ce déploiement massif s’appuie sur des infrastructures telles que la «ceinture sécuritaire» longeant le littoral méditerranéen, qui joue un rôle crucial dans la détection et la prévention des tentatives d’immigration irrégulière. 

Ces chiffres ne prennent pas en compte les nombreux autres coûts indirects associés à ces efforts : blessures, pertes humaines et infrastructures endommagées lors d’assauts contre les clôtures entourant les présides occupés de Sebta et Mellilia.

 A souligner également, toujours selon la même source, que «le Maroc se trouve confronté à une problématique asymétrique. Les efforts déployés par le Royaume ne sont pas accompagnés de manière proportionnelle par l’Union européenne (UE) ou son voisin du nord, l’Espagne. Si la Turquie, la Grèce et l’Italie bénéficient de soutien financier et matériel substantiel de la part de l’UE pour gérer leurs propres défis migratoires, le Maroc, de son côté, doit y faire face de manière quasi unilatérale ». 

«Cette inégalité dans le soutien européen est d’autant plus manifeste lorsque l’on compare la situation marocaine avec celle de la Turquie, qui a reçu en 2015 une aide de trois milliards de dollars pour juguler le flux migratoire lié à la crise syrienne. En revanche, l’appui financier accordé au Maroc est jugé insuffisant par de nombreux observateurs et officiels. Ce manque de soutien reflète un certain déséquilibre dans la gestion de la crise migratoire au niveau international et nécessite une meilleure coordination, voire une revalorisation des efforts conjoints, pour renforcer la sécurité tout en garantissant une approche plus humaine et durable de la question migratoire », ajoute la même source.
 
 Identification des populations concernées
 
Le nombre d’étrangers en situation irrégulière demeure également une énigme. En effet, le bilan du département de l’Intérieur n’évoque ni la part que représente cette population dans la société marocaine ni son évolution ni sa composition. Pour les experts, «une analyse plus détaillée pourrait inclure une catégorisation des profils migratoires (ex. familles, travailleurs, demandeurs d’asile) pour mieux comprendre les motivations et les besoins, ainsi que des estimations basées sur des études indépendantes, des données régionales ou des rapports internationaux ». « D’autant, ajoutent les spécialistes, qu’en l’absence de comparaisons avec des données antérieures ou des chiffres d’autres pays similaires, il devient difficile d’évaluer l’impact de la politique nationale ». Un développement pertinent consisterait, selon eux, « à mettre en exergue des initiatives qui ont fonctionné dans des contextes comparables et qui pourraient être adaptées au contexte marocain et à comparer les résultats du Maroc avec ceux d’autres pays de transit ou de départ ».

Lesdits spécialistes estiment que « la question du nombre d’étrangers en situation irrégulière demeure cruciale, notamment pour les 50.000 migrants régularisés dans le cadre de deux opérations exceptionnelles de régularisation des migrants en situation administrative irrégulière et ceux qui ont bénéficié de conditions allégées suite aux instructions Royales et à l’intervention de la Commission nationale de suivi et de recours, en 2014 et 2016. Notamment dans un nouveau contexte marqué par le fait que le renouvellement des cartes de séjour n’est plus automatique ». Les autorités exigent à présent plus de conditions pour pouvoir les renouveler. Les migrants doivent obligatoirement présenter un dossier complet constitué d’un contrat de travail, d’un bulletin de paie, d’un contrat de bail, d’un extrait de casier judiciaire et d’un certificat alors qu’auparavant, il suffisait de présenter un passeport en cours de validité ou une pièce d’identité, une facture d’eau ou d’électricité et l’adresse de la résidence où loge l’intéressé.  La confusion dans ce dossier découle du fait que la régularisation a été opérée dans le cadre d’une circulaire conjointe (ministère de l’Intérieur et celui des Affaires de la migration) mais le renouvellement des titres de séjour se fait en application de la loi 02.03. 

Du coup, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir combien, sur les 50.000 personnes régularisées, ont pu renouveler leurs cartes de séjour au cours de ces huit dernières années ? En attendant une réponse de la part des autorités administratives compétentes, il faut rappeler que cette question engendre une autre, celle relative à la mise à niveau du cadre réglementaire national.  En fait, l’Etat hésite encore à prendre des décisions claires et tranchantes concernant la révision de la loi 02.03 et l’élaboration d’une loi sur l’asile qui traînent encore à la SGG. Seule la loi sur la traite humaine a vu le jour.
 
Coût et logistique des opérations d’éloignement
 
Les données relatives aux franchissements irréguliers de frontière ne sont pas non plus divulguées ni comparées à celles existantes. A noter également l’absence d’éléments concernant le contexte géopolitique et socioéconomique qui pourraient expliquer ces chiffres, tels que les crises politiques régionales, les conflits, ou les politiques migratoires des pays voisins, ainsi que l’absence d’évolution de ces données sur plusieurs années pour repérer des augmentations, des baisses ou des tendances stables.

S’agissant du coût de l’éloignement forcé ou volontaire, personne ne sait combien il représente dans le budget général ni quelles sont les dépenses occasionnées par ces opérations (achat de billets d’avion, dépenses de personnel induites (agents de la police affectés aux éloignements forcés).

« Une exploration plus détaillée pourrait inclure une évaluation de l’impact humain de ces retours, en tenant compte des risques de violation des droits humains ou de réinstallation précaire des migrants dans leur pays d’origine; ainsi que le déploiement des ressources humaines et matérielles pour ces opérations, et leur coût sur le budget de la sécurité intérieure », observent les experts.
 
Politique au carrefour des enjeux nationaux et internationaux
 
En outre, ces derniers soulignent qu’« il est essentiel de replacer cette question dans un cadre global et multidimensionnel, en examinant les interactions entre les politiques migratoires nationales et celles de ses partenaires européens et africains, ainsi que les effets sociaux et culturels des politiques ».

D’après eux, « les divers partenariats soulèvent plusieurs enjeux. Tel est le cas pour les accords bilatéraux et régionaux avec l’Union européenne qui sont parfois perçus comme renforçant la « politique de la forteresse Europe », où le Maroc joue « le rôle de gendarme pour le compte de ses partenaires ». « Les aides financières de l’UE au Maroc pour la gestion des flux migratoires, bien que nécessaires, poursuivent les experts, posent aussi la question de la dépendance économique et du risque de conditionnalité qui pourraient influer sur la souveraineté du pays dans la définition de ses propres priorités migratoires ».

Concernant les relations avec les partenaires africains, les spécialistes notent que « la collaboration avec les pays de départ pour réduire les flux migratoires à la source, exige une évaluation meilleure de l’impact de ces collaborations sur les communautés locales et de comprendre si elles contribuent à offrir de véritables alternatives à la migration ».
 
Problématiques sociales et politiques
 
Sur un autre registre, les experts pensent que « les politiques de contrôle des flux migratoires, les retours volontaires ou les régularisations ont un impact sur l’opinion publique marocaine, souvent tiraillée entre la solidarité, l’hostilité, et la peur de l’autre. Il est donc essentiel de sensibiliser la population et de lutter contre les discours stigmatisants qui nourrissent la xénophobie ».

  « Les migrants, expliquent les experts, qu’ils soient en situation régulière ou non, perçoivent et vivent les mesures migratoires à travers des expériences variées, souvent marquées par la précarité, la discrimination, ou, dans le meilleur des cas, par des opportunités d’intégration. Les politiques doivent s’attacher à garantir la dignité, la sécurité et l’intégration des personnes migrantes, tout en respectant leurs droits fondamentaux ».

Pour eux, « la dimension des droits humains reste cruciale ». Et du coup, ils jugent nécessaire de faire face à des défis liés à la protection des migrants contre les violations, les mauvais traitements ou les expulsions arbitraires. « Le Maroc peut jouer un rôle de leader régional en démontrant que sécurité et humanité peuvent coexister au sein de la politique migratoire », indiquent-ils. Et de préciser que « la politique migratoire du Maroc doit répondre à des enjeux complexes, mêlant contrôle des frontières, respect des engagements internationaux, gestion des flux migratoires et promotion de la stabilité régionale. Cela nécessite une approche équilibrée, basée sur une coordination intersectorielle, une coopération avec les acteurs de la société civile et un dialogue franc avec les partenaires internationaux ».

« En définitive, concluent les spécialistes, replacer la question de la migration irrégulière dans un cadre global implique de reconnaître le rôle du Maroc comme acteur de médiation et de stabilisation, tout en plaçant les droits des migrants au centre de ses priorités. Il s’agit de créer des passerelles, non des murs, et de faire de la mobilité humaine un facteur de développement partagé et non une source de tensions ».

Hassan Bentaleb

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