L’OCP continue de résister aux Etats-Unis, face à son rival Mosaic, qui mène une bataille commerciale qui ne dit pas son nom. Une lutte invisible aux allures d’une guerre économique. Décryptage.
L’OCP a fermement réagi via un communiqué dans lequel il a fait part de sa vive contestation. Le ton est sévère. Le groupe a pris acte de la décision qu’il juge erronée et se dit non-convaincu des arguments du Département américain. Le groupe conteste formellement les “méthodes inadéquates” qui ont abouti à cette mesure “qui ne sont pas conformes aux lois et règlements des États-Unis, et les déterminations qui ne sont pas étayées par les éléments de preuve versés au dossier”. En attendant l’issue de la procédure, l’OCP s’engage à coopérer pleinement avec les agences américaines dans le cadre de leurs futures analyses.
En 2021, le Département américain a opté pour un taux de 19,97% avant de le réduire en novembre 2023 sur la base d’une révision administrative, et ce, après deux arrêts rendus, les 14 et 19 septembre 2023, par la Cour du Commerce international des Etats-Unis en faveur de l’OCP. Maintenant, retour à la case départ. L’OCP s’attache à résister à cette pression procédurale vu qu’il juge que sa présence sur le marché est, contrairement aux allégations de son rival, bénéfique pour l’agriculture américaine, du moment que l’offre d’engrais n’est pas suffisante pour subvenir à tous les besoins locaux.
“Cette situation fait que l’offre sur le marché se retrouve parfois déficitaire”, confie une source proche du dossier sous couvert d’anonymat, regrettant que les autorités américaines ne prennent pas assez en compte cette réalité. Preuve en est que des associations d’agriculteurs sont entrées en ligne pour demander de baisser les droits compensateurs. Une requête rejetée par la Commission américaine du commerce international en décembre 2023.
“Cette affaire s’inscrit au cœur d’une guerre économique”, tranche Anas Abdoun, Analyste en prospective économique et géopolitique, qui explique que l’attitude des autorités américaines illustre la traditionnelle propension des Etats-Unis à protéger leurs industries locales. “C’est une constante de la politique commerciale américaine depuis des décennies”, ajoute-t-il. L’emploi du vocable “guerre” dans cette affaire ne serait pas excessif du moment que l’Ecole de guerre économique (EGE) en France en a fait un cas d’école des luttes au sein de l’industrie des phosphates à l’échelon mondial dans un rapport publié le 22 mars 2023. Bien que ce soit un pays ultra-libéral et ouvert au libre-échange, les EtatsUnis n’en demeurent pas moins très offensifs lorsqu’il s’agit des intérêts de leurs producteurs locaux quel que soit le parti au pouvoir.
Si Mosaic s’en prend ainsi à l’OCP avec ce procès perpétuel en concurrence déloyale, c’est parce le géant de Floride redoute la concurrence de son rival marocain et sa capacité à offrir des engrais à coût compétitif, estime M. Abdoun, ajoutant que dans ce cas de figure, “les règles du commerce international deviennent un terrain de confrontation”.
Maintenant, l’OCP continue de résister au marché américain en dépit des obstacles à l’export. Une volonté de tenir dans le temps long en s’évertuant de réfuter les arguments du rival américain. L’Office défend ainsi une part de marché. “Le marché américain reste un marché à haute valeur ajoutée”, explique Anas Abdoun, ajoutant que la présence du groupe au marché américain est également importante d’un point de vue d’intelligence économique. “Le marché américain est le plus réglementé au monde et, par conséquent, cela peut permettre à l’OCP à terme d’anticiper les réglementations ou de tenter de les influencer comme les autres lobbys industriels”, conclut notre interlocuteur.
- Les engrais marocains font depuis des années l’objet d’une forte taxation aux Etats-Unis suite à la plainte de Mosaic. S’agit-il d’une mesure protectionniste d’un pays avec lequel on a, pourtant, un accord de libre-échange ?
- Quelles sont les véritables raisons derrière ce durcissement douanier?
- Quelle stratégie le Maroc doit-il adopter face à cela ?
L’OCP avait expliqué cette performance par la résilience du groupe face aux défis du marché, tout en capitalisant sur des fondamentaux solides et une demande soutenue pour ses produits. Au 2ème trimestre 2024, l’OCP a enregistré une solide performance financière, avec un CA en nette hausse à 23.660 MDH, contre 19.280 MDH au même trimestre de l’année précédente. Cette croissance de 23% reflète des conditions de marché favorables, marquées par une reprise significative de la demande dans plusieurs régions importatrices, ainsi qu’une stabilité des prix des produits phosphatés, contribuant à renforcer la rentabilité du groupe. Parallèlement, le groupe fait savoir qu’il a intensifié ses efforts d’investissement au T2-2024, avec des dépenses en capital s’élevant à 10.452 MDH, en augmentation comparativement aux 6.388 MDH engagés à la même période de 2023.
Sa stratégie d’investissement et d’optimisation des coûts en a fait un acteur plus compétitif sur le marché international. Ceci a permis au géant marocain d’améliorer ses performances commerciales aux Etats-Unis. Avec près de 70% des réserves mondiales et son offre d’engrais de plus en plus sophistiquée, l’OCP s’est doté d’une force de frappe considérable. En face, Mosaic n’a nul intérêt à le laisser s’enraciner davantage sur le marché américain bien qu’il y garde une position très avantageuse. Le géant américain profite du caractère semi-public de l’OCP pour l’accuser de bénéficier de subventions publiques. Pour y parvenir, tous les coups de la guerre informationnelle sont permis. Par lobbyistes interposés, les deux groupes mènent la bataille de l’opinion. Pour sa part, l’OCP met en garde contre le risque de pénurie sur le marché aux conséquences fâcheuses sur les prix. Un argument qui a finalement convaincu plusieurs parlementaires, dont 35 sénateurs et députés ont demandé, en novembre 2023, la baisse des droits de douane sur les engrais marocains.
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