Le vernissage a lieu jeudi 14 novembre à 18h30 et sera marqué par une lecture poétique au rythme musical avec l’accompagnement du luthiste Youssef Louza et la signature du livre «Poésie et peinture» de l’artiste préfacé par Adib El Machrafi et Said Ahid ( version française) ainsi que par Nour Eddine Dirar et Oumar El Asri (version arabe).
Ci-dessous l’introduction de la version française signée par Said Ahid.
Créatrice s’exprimant tant par le ministère de la plume que par celui du pinceau, Loubaba Laalej nous fait offrande dans le présent «Poésie et peinture», avec quelles grâces, de son approche singulière de la damnation esthétique qu’est l’appartenance simultanée à un discours double : celui de dire poétiquement et celui de représenter picturalement.
Conjointement poétesse et artiste peintre, elle explore en promeneuse avertie les dédales de l’acte de créer par le verbe et par la forme, les géographies tantôt divergentes tantôt convergentes, de l’un et de l’autre, de l’un par rapport à l’autre. Elle sonde cette zone, tantôt claire tantôt obscure, de l’entre-deux qui semble élever, à première vue et pour les esprits pressés, les frontières d’une incommunicabilité dualiste entre les deux sphères, d’une conflictualité inflexible.
Par l’entremise d’une démarche didactique réfléchie et pondérée, l’auteure illumine les données, souvent impénétrables mais toujours labyrinthiques de la question prospectée par son ouvrage ; prospection qui l’amène et la mène, en dernière instance, à brandir le fanion de l’incontournable et permanente perméabilité des cloisons entre les deux champs, cloisons erronément admises comme étanches par le sens commun (tel qu’entendu par Pierre Bourdieu). La matrice de cette «noce» réitérée par l’ouvrage et le traversant n’est autre que le dialogue mutuel, la complémentarité, l’accouplement fécond, voire la symbiose ; une certaine unité dans la diversité et par la diversité avérée théoriquement et historiquement.
En deux mouvements, le premier se focalisant sur «un poète-peintre » et le second situant «la poésie au cœur de la peinture», Loubaba Laalej guide son lecteur potentiel à travers les variables de son équation.
Le premier mouvement, parfois vif, parfois lent selon la teneur du propos, composé de phrases généralement courtes pour capter l’attention du lecteur et maintenir la tension des questionnements, est composé de 46 écrits rehaussés par un «argument pratique».
«Choisir un tableau ou choisir un poème », s’interroge, radicalement, dès la première note de sa symphonie à deux mouvements Loubaba Laalej, en qui cohabitent une poétesse hantée par le pinceau et une artiste-peintre envoûtée par la plume. L’opposition est-elle si irréductible entre ses deux quêtes de «l’extase du bonheur», d’une «même passion de l’infini» ?
Au fil des textes, brodés avec un souffle de poéticité, les arguments s’enchaînent pour nuancer « le divorce » supposé, car même si chacun, peintre et poète, pose ses propres interrogations », crée dans la solitude de sa solitude, imbibé par son inspiration et recourant aux outils de son mode d’expression propre, cette distanciation, cette « différence les rapproche au centre d’une même mélodie ».
A son Banquet (au sens platonicien), où «rayonnent complicité et complétude», l’avocate du couple « poète-peintre » invite des figures fondamentales et fondatrices issues d’ères historiques, d’aires civilisationnelles et de mouvements culturels multiples pour en faire les témoins de son plaidoyer pour « l’élixir » qui a abreuvé, depuis que l’être humain est doué d’humanité, «la résonnance » dans les deux sens, entre les mots du poète et les formes du peintre. Et la pléiade de convives triés sur le volet d’acquiescer à cette « double inspiration» dont ils sont eux-mêmes l’incarnation, preuves à l’appui (tableaux ayant inspiré des poèmes et vice versa). Et d’accorder leurs plumes et pinceaux pour scander, en un chœur à l’harmonie assurée par la baguette de leur hôte, l’éloge de «l’art couplé», cet aller-retour vital de l’imaginaire entre verbe et image, où l’écriture sauve de « trop jouer avec la couleur » (Miran Kropol) et le dessin aide à « échapper à l’emprise de l’écriture » (Henri Michaux), où s’instaure l’échange initiateur de la « beauté partagée» entre la verve lyrique du vers et la trace formellement colorée empreinte sur le support plastique.
L’argumentaire ne puise pas uniquement dans une langue éloquente et précise, ornée de citations et d’exemples, pour se développer et convaincre, mais s’offre le plaisir de démontrer son propos par un exercice pratique : un tableau en guise de réponse à l’interpellation des « voix de la poésie», œuvre où matérialité et picturalité voisinent et se chevauchent pour signifier la polyphonie du poème, la multiplicité de ses sources livresques et naturelles.
Le second mouvement de l’ouvrage, lui, est un exercice fort original et périlleux, car érigeant Loubaba Laalej en exploratrice d’un continent encore vierge : extraire l’essence de la pensée, de l’enseignement et/ou de la praxis d’un acteur culturel ou sociétal majeur pour en rendre compte picturalement.
Et l’auteure-peintre de voyager en compagnie de pas moins de 35 personnalités issues, elles aussi, d’ères historiques, d’aires civilisationnelles et de mouvements culturels multiples, ainsi qu’actrices impliquées dans les affaires de la Cité et de la condition humaine, d’invoquer, selon l’acception de Paulo Coelho, «la légende personnelle » de chacune d’elles, la mettre en scène devant son chevalet pour la métamorphoser, transcendentalement, en «modèle».
Ainsi, la force des mots et l’esthétique des traits rythmant ce second mouvement de l’ouvrage rendent intelligible, à notre regard perverti par la laideur ambiante et à nos lettres sclérosées par la platitude en vogue, le « Je est un autre » rimbaldien.
Par Said Ahid
Ecrivain et journaliste.
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