Jusqu’au 1er décembre, Ilias Selfati expose un nombre impressionnant d’œuvres à la galerie Delacroix de l’Institut français de Tanger. Son « Arbre qui cache la forêt » n’est pas à vendre, plutôt à méditer. Drôle d’approche émanant d’un artiste détonnant.
Un round up où des œuvres se parlent en se tutoyant, se friment mutuellement, s’enlacent sans forcément se trouver des points de discorde. « L’arbre qui cache la forêt » renvoie à d’antérieures expositions d’Ilias comme nous le disions dans d’autres occasions. Seulement ici l’effort est multi, une belle projection dans le passé-récent exprimant la rétrospective de récentes années. On lui ouvre grand les bras du fait que la qualité engendre émotion, questionnements et remises en cause. L’art étant une cruelle satisfaction. Selfati sort régulièrement de sa forêt inspiratrice, y retourne souvent, mais trouve par à-coups quelques intrus qui essaient d’y élire domicile. Si cela figure des passants, ceci l’inspire moyennement ; quand c’est un positionnement qui ne prononce pas ses intentions, il le caresse à rebrousse-poil. Une forêt décidément humaine qui pousse au verbe et à ses différentes traductions. Ce garçon est une perpétuelle curiosité, un boom qui n’attend que l’explosion réelle, cette détonation qui fait déjà chez lui couler les larmes des couleurs, rappelle la beauté du noir, la finesse du blanc, l’exclusion de l’insipide. Selfati est autrement un conteur. A le laisser s’étendre sur l’histoire de l’art, on l’écoute plus qu’on ne l’entend. Les différents courants qui traversent les décennies et même quelques siècles sont dans sa besace de créateur-chercheur : dadaïsme, surréalisme, réalisme, impressionnisme, abstraction, art contemporain… et autres approches souvent sans qualifications matérielles. Finalement, cet artiste est une chaux vive. Son bouillonnement peut monter jusqu’à plus de bulles. Il trouve pourtant le moyen de la réanimer, la laissant couler, surveillant si son cheminement atteint les horizons qu’il se trace, sinon la laisse se refroidir jusqu’à craquèlement. Ilias Selfati est loin d’être un être unique, il est une curiosité multiple. Par son approche, par les thèmes qui l’habitent, par les matières et les médiums qu’il convoque, par la rageuse sensibilité qui l’élève aux cimes de la création décomplexée. Ce détonant soliste qui embrasse différents chants à la tonalité fluctuante, qui caresse la vie comme s’il la regarde du haut de l’au-delà, a bel et bien les pieds sur un sol qu’il arpente à sa sournoise guise. Si Ilias a déjà beaucoup donné, sa valise de voyageur cérébral est encore garnie de ce que nous ne soupçonnons pas et qu’il appréhende lui-même. Se surprendre soi-même, c’est se rendre utile à ses neurones avec la surprenante flagrance qui s’impose.
Présence aérienne
Par sa belle présence dans l’espace plastique marocain et au-delà, Ilias Selfati fait un come-back solo d’un élégant bouillonnement. On l’a antérieurement croisé dans une forêt qu’il idolâtre avec la plus déconcertante des étreintes. Il en ressort apaisé, exhibant corps et âme ce que cette forêt lui lègue comme présence aérienne, la fleur en perpétuel bourgeonnement. A cette époque, on le présentait ainsi : après avoir fui la forêt pendant l’enfance, il y pénètre artistiquement il y a plus de deux décennies pour ne plus en sortir que sporadiquement. Son atmosphère, sa végétation, ses habitants sur quatre pattes… Un monde trouble et fascinant, une source inépuisable d’inspiration. Si le huis-clos de ce grand espace l’effraye petit, aujourd’hui il le nourrit. D’expériences plastiques obscures, Ilias trouve des bifurcations vers l’éclaircissement : « Tout ce que j’ai fait depuis de nombreuses années concernant la vision que j’ai de la civilisation, m’a amené à aborder des sujets plus sombres tels que les funérailles de guerre, les sept péchés, l’effusion de sang, l’arrestation ou le temps de la fureur qui ont été mon aventure particulière. Parfois, j’ai l’impression de passer de l’obscurité à la lumière. » Son art est empli d’éblouissements qui font de lui un respectueux incompris, une larme fatale pour les réels amateurs d’un art qui coule de plus en plus sur les joues endolories de créateurs sauvagement dorlotés par des trouble-fêtes savamment installés, donneurs d’ordres ou spéculateurs attitrés. Ilias, lui, s’en détache et crée son propre monde, excluant d’un revers exquis les brebis galeuses. Le dithyrambe peut paraître ici flamboyant. Et alors ? Avec « L’arbre qui cache la forêt », l’artiste confirme son détachement du réel, son attachement au rêve éveillé. Et si c’est lui qui a raison ? Immatériellement, il rêve sans discontinuer ; matériellement, il crée. Entre les deux, il est happé au pied de son intelligence.
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