L’industrie de défense française espère retrouver sa gloire perdue au Maroc à la faveur de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron. Décryptage.
C’est l’heure des retrouvailles entre la France et le Maroc, qui scellent officiellement leur réconciliation après des années de crispation diplomatique. Maintenant, tout est pour le mieux comme si la crise n’avait jamais existé. Une crise qui appartient désormais au passé. Le Royaume dévoile le tapis rouge au président Emmanuel Macron qui est aujourd’hui l’invité exceptionnel de SM le Roi, qui lui a réservé un accueil chaleureux avec tous les honneurs chérifiens dignes du partenariat d’exception que le locataire de l’Elysée est venu réciter lors cette visite d’Etat, à laquelle prennent part la crème de l’establishment politique et économique de l’Hexagone.
Près d’une centaine d’illustres personnalités, dont neuf ministres, des élus, des patrons de grands groupes de tous les secteurs, accompagnent le Chef d’Etat français dans ce périple très fructueux pour les Français qui viennent en quête de contrats juteux. Energie renouvelable, hydrogène, ferroviaire, aviation… l’appétit français est si grand que la presse hexagonale parle du “voyage des gros contrats”.
Désabusé après avoir perdu tout espoir de rapprochement avec l’Algérie, dont le chantage puéril mémorial l’a finalement frustré, Emmanuel Macron place désormais ses espoirs dans le Maroc, l’ami d’exception que Paris veut garder à ses côtés à tout prix, au moment où la France perd manifestement son influence aussi bien au Maghreb qu’au Sahel, ce qu’elle avait tendance à considérer comme sa chasse gardée. Macron a fait ce qu’on attendait de lui : il a reconnu sans ambages la marocanité du Sahara, selon la lettre qu’il a envoyée à SM le Roi à l’occasion de la Fête du Trône. Venant de la part d’une puissance titulaire du droit de véto au Conseil de Sécurité, ce pas historique est assez grand pour que l’axe Paris-Rabat retrouve sa splendeur du passé.
D’où l’accueil fastueux réservé à Macron qui rappelle les souvenirs radieux de l’apogée de l’amitié franco-marocaine aux époques de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Armement : En quête des parts de marchés perdus
En politique, rien n’est gratuit, on a beau parler de bons sentiments et d’amitié, seuls priment les intérêts. La France garde les yeux rivés sur les contrats d’armement dont elle veut engranger le maximum possible à la faveur de l’idylle actuelle. Il en va de l’influence de l’industrie de défense française et de la réputation du “Made in France” qui n’a eu de cesse de perdre du terrain en faveur des Américains depuis le fiasco des Rafales en 2007.
La France tente de regagner du terrain perdu en faveur des Américains ces dernières années. Les Etats-Unis sont incontestablement aujourd’hui le fournisseur principal du Royaume en accaparant la majeure partie des contrats. L’entrée en lice des Israéliens en 2021 après la signature de l’accord de défense a renforcé l’inquiétude française de perdre à jamais le marché marocain, jadis très rentable. “Ils ont comblé le vide que nous avons laissé derrière nous”, regrette le Colonel Peer De Jong, ancien aide de camp de Jacques Chirac et de François Mitterrand qui connaît si bien le Royaume. Notre interlocuteur reconnaît la trace indélébile du fiasco du Rafale. Mais il reste, tout de même, optimiste. “Il faut tout simplement bosser et parler avec nos partenaires”, poursuit celui qui a été décoré par feu Hassan II et qui demeure convaincu que l’industrie française a encore des joyaux à proposer.
“La coopération militaire dépend strictement de la volonté politique. Encore faut-il que les industriels soient en état de faire des offres séduisantes”, insiste pour sa part Alain Juillet, ancien directeur du Renseignement au sein de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
Quoi qu’il en soit, la France n’a pas encore perdu de terrain. Preuve en est le succès de quelques récents contrats dont celui des canons CAESAR dont le choix fait quasiment l’unanimité parmi les cercles militaires et les experts marocains. La présence du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’est pas fortuite. Lui qui espère partir avec un butin pour l’industrie française en pesant sur les contrats en stand-by. L’ordre du jour est assez abondant. Deux contrats majeurs devraient être signés. Il s’agit des hélicoptères Caracal d’Airbus, dont le Royaume s’apprête à commander environ 18 exemplaires pour près de 800 millions d’euros, selon La Tribune. Le ministre veut peser dans la balance au moment où le doute plane sur le sort des négociations autour de deux sous-marins dont veut s’équiper le Maroc pour la première fois. Jusqu’à présent, le Maroc reste indécis au milieu de la bataille franco-allemande qui oppose le géant Naval Group au constructeur Thyssen Krupp Marine Systems.
Mais, les Français veulent jouer jusqu’au bout la carte géopolitique à leur profit dans un contexte favorable même si les relations maroco-allemandes n’ont jamais été si bonnes. En même temps, la France ne désespère pas d’obtenir le méga-contrat d’un nouveau satellite espion, bien que le Maroc ait déjà opté pour la technologie israélienne en 2022 au pic de la crise diplomatique. En témoigne la présence du PDG de Thalès Alenia Space (TAS), Hervé Derrey, aux côtés d’Emmanuel Macron. Mais les chances que ce souhait soit exaucé demeure minime du moment que la presse israélienne a d’ores et déjà annoncé, en juillet dernier, un accord imminent entre le Royaume et le groupe Israel Aerospace Industries.
Par ailleurs, la réconciliation franco-marocaine pourrait être le prélude d’une nouvelle ère. Les deux pays se projettent d’ores et déjà vers l’avenir. La France devrait lorgner davantage le carnet de commandes marocain dans un contexte particulier où les besoins des Forces Armées Royales, qui se livrent à une modernisation à grande échelle de leurs capacités défensives, se font de plus en plus nombreux. Mais la concurrence est rude. Le Maroc diversifie progressivement ses fournisseurs.
Trois questions à Peer De Jong : «L’industrie française est encore capable de proposer une offre attrayante»
La France fut un fournisseur d’armes majeur du Maroc. Mais, ce statut a été perdu en faveur des Américains. Aujourd’hui, l’industrie française de défense veut faire son grand retour, est-elle capable de s’imposer à nouveau face à la concurrence ?
Les relations franco-marocaines sont, à mes yeux, naturelles. C’est pour cela que je trouve qu’il n’y avait aucune raison justifiable pour se fâcher avec les Marocains. Les questions épineuses, quelles qu’elles soient, doivent être réglées par le débat entre amis qui peuvent se dire les choses sincèrement avec courtoisie sans en arriver à la rupture. Pour répondre à votre question, il y a eu un recul visible non pas uniquement au Maroc mais en Afrique de façon générale. Cela fait longtemps que les Américains s’intéressent de plus en plus à l’Afrique. Depuis 2013, l’affaire du Mali leur a donné un déclic puisque la France leur a demandé leur aide pour conduire l’opération Serval qui a donné lieu à l’opération Barkhane. Il y avait un besoin de moyens de transport et de transmission et des drones…etc. Les Américains ont compris alors que nous n’étions pas si robustes qu’ils croyaient. Depuis lors, ils ont commencé à signer de plus en plus d’accords militaires avec les pays africains, notamment les pays francophones. Avec leur force de frappe, ils offrent du matériel et la formation qui va avec, la formation des unités…. En gros, ils ont trouvé un vide laissé par les Français et l’ont comblé. C’est aussi simple que ça. L’industrie française est toujours en capacité de fabriquer les meilleures armes. On l’a démontré dans plusieurs segments, comme les missiles Scalp, les canons CAESAR, le Rafale… Mais le choix appartient aux Etats. En ce qui concerne le Maroc, nous avons payé cher l’échec du contrat des Rafales en 2007. Le Royaume en voulait au moment où il y avait deux structures françaises qui se battaient entre elles, Dassault et EADS (European Aeronautic Defence and Spacecompany). Alors qu’il y avait beaucoup de confusion, le Maroc a fini par choisir les F-16. Cet échec était de notre faute.
On parle de plus en plus souvent d’un éventuel intérêt marocain pour le Rafale qui serait plus adapté aux besoins du Royaume, mais son coût demeure problématique, comme les conditions de vente, qu’en pensez-vous ?
C’est l’un des avions les plus performants au monde. Il y aura bientôt le Rafale V qui est, à mon avis, meilleur que le F-35. Je rappelle que le pilote peut s’en servir avec des drones accompagnateurs. Le Rafale offre l’avantage de la souveraineté dans la mesure où le modèle vendu peut être utilisé durablement sans crainte d’obsolescence ni restrictions. C’est livré clé en main. Pour ce qui est de la question du coût, à l’origine cela posait problème. Je rappelle que c’est un avion multifonctions, c’est à la fois un bombardier et un avion de chasse et peut exécuter plusieurs missions à la fois. Vous avez remarqué qu’il est vendu partout au monde sauf en Europe où les Américains forcent les pays de l’OTAN à s’équiper du F-35.
Concernant les Mirage 2000 que les Emirats auraient voulu en faire don au Maroc, maintenant que la France et le Maroc sont officiellement réconciliés, est-ce possible que Paris donne son aval ?
L’aval de la France est nécessaire. C’est une règle élémentaire qui consiste à ce que le pays fournisseur autorise le transfert d’un armement vendu à un pays vers un Etat tiers. Là, on parle d’avion dans sa totalité. Lorsqu’il s’agit des Américains, les conditions sont plus drastiques, il suffit que l’arme objet du transfert contienne une seule pièce américaine pour être obligé de solliciter l’autorisation des Etats-Unis. Le mirage 2000 est encore opérationnel, c’est un appareil multifonctions qui peut être utilisé pour l’appui au sol ou comme avion bombardier. Un mirage 2000 peut être assimilé à un F-16.
Recueillis par A. M.
Fiasco du Rafale : Le souvenir amer !
En 2006, le Maroc avait commencé sérieusement à penser à renouveler sa flotte de combat, jugée vieillissante. Il fallait rajeunir l’avantgarde. Dès le début, le Royaume avait manifesté son intérêt pour les avions Rafale. Les autorités marocaines étaient tellement convaincues de leur choix qu’elles estimaient conforme aux besoins opérationnels des FAR. Les pourparlers ont commencé aussitôt avec le constructeur Dassault et le gouvernement français. Les négociations ont rapidement buté à cause du prix et des conditions de financement. Le Maroc avait voulu commander 18 exemplaires de l’avion de combat. La France a proposé le prix de 2,1 milliards d’euros sans option de crédit. Ce que le gouvernement marocain a décliné. A ce moment-là, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie s’est montré trop intransigeant sur l’option du crédit contre l’avis de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Alors que les discussions étaient bloquées, le gouvernement américain a saisi l’occasion pour proposer une meilleure offre. Plus d’exemplaires du F-16 avec le prix de 1,6 milliard d’euros. L’Administration américaine a proposé un crédit gratuit en plus d’une aide au développement. Ce fiasco français a laissé un impact sans précédent dans la coopération militaire franco-marocaine.
Exercices conjoints : Un partenariat qui résiste aux soubresauts politiques
Le partenariat militaire n’a guère été impacté par la crise diplomatique. Les militaires marocains et leurs homologues français ont poursuivi leurs programmes de coopération de façon ininterrompue. Les programmes de formation sont toujours en cours. “La coopération en matière de formation est particulièrement active entre la France et le Maroc”, se félicite une source autorisée au sein du ministère français des Armées, qui précise que l’échange des coopérants militaires techniques affectés au sein des structures et d’état-major marocains et les missions d’expertise sont renforcés. Selon la même source, les échanges en matière de formation sont fructueux, matérialisés notamment par le suivi de cycles d’études par des stagiaires dans nos écoles de guerre respectives.
Il en est de même pour les exercices conjoints. La France a pour la première fois déployé un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) dans un exercice naval aux côtés de la Marine Royale à l’occasion de la trentième édition de l’exercice Chebec, un exercice qui réunit chaque année les deux armées depuis 1994, année de signature du premier accord de coopération militaire technique.
Cet exercice a eu lieu du 7 au 13 octobre sur les côtes marocaines et s’est déroulé en deux phases. “La flottille franco-marocaine, du moins les unités de surface, se sont réunies à Casablanca et ont évolué dans un second temps jusqu’en mer d’Alboran, le long des côtes méditerranéennes du Maroc”, révèlent des sources spécialisées. Ces manœuvres ont permis de bénéficier d’un entraînement de haut niveau en matière de lutte anti-sous-marine. La Marine Royale va engager, pour sa part, la Frégate multifonctions Mohammed VI, l’un des bâtiments les plus modernes de la flotte marocaine. La Frégate Tarik Ibn Ziyad fut engagée dans l’édition précédente, tandis que la Marine française était venue avec la frégate Lafayette.
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