A la veille de ses 80 ans, le chanteur qui continue à donner de la voix force le respect donnant des frissons à ceux qui n’éructent leurs compositions que par des machines jonchant les studios d’enregistrement. Il était, et restera vrai. Il y a quelques années, nous lui rendions hommage sous une autre bannière. En voici quelques passages.
De son Rabat natal, il part en France à la conquête du monde de ses rêves. Il y croise les plus grands : Wilson Pickett, Bo Diddley, Stevie Wonder, Otis Redding… Retour sur une carrière tumultueuse. Un homme multiple, pluriel, nombreux. Sa vie, où les hauts et les bas font souvent bon ménage, est un combat sans fin. Les coups, ceux qu’il réussit comme ceux qu’il encaisse, lui permettent de jouer au funambule. Sa devise se résume en peu de mots : aller de l’avant. Une approche qui ne l’empêche pas de s’appuyer sur le passé pour mieux appréhender l’avenir. Son parcours est parsemé de hasards. Même son nom de scène est né d’un « accident » scolaire. Alors qu’il doit prononcer le mot wagon, c’est vigon qui s’échappe de sa bouche. Un nom de guerre est né, par le biais de camarades moqueurs et loin de savoir qu’ils lui offrent, du coup, un pseudonyme inespéré dans un univers artistique qui aurait du mal à « vendre » un chanteur du prénom d’Abdelghafour ou de son patronyme Mouhsine. C’est donc en tant que Vigon qu’il débarque en 1964 à Paris pour passer des vacances, après des concerts donnés sur les bases militaires de Kénitra, Benslimane et Benguerir. « En fin de semaine, j’allais à une piscine à proximité de la gare de Lyon. » Jusqu’au dimanche où le petit marocain trouve sa piscine-refuge fermée pour travaux. Un brin dépité, il commence à réfléchir où griller son jour de repos. Sa mémoire le renvoie à « Cinémonde », une revue hexagonale distribuée au Maroc et qui consacre sa dernière page aux évènements d’une salle de spectacles nommée Golf-Drouot. Il décide d’y passer l’après-midi : « En pénétrant dans cet espace bondé de monde, je suis pris de panique. Les gens faisaient la fête sans se poser de questions. Une ambiance folle régnait dans ce paradis musical. Un orchestre maison accompagnait tous ceux qui voulaient déployer leurs cordes vocales. En écoutant les chanteurs qui défilaient sur scène, je me suis dit que je pouvais faire mieux. Je me suis alors présenté à Henri Leproux, le maître des lieux. Je lui ai dit que j’étais Marocain, que j’avais une expérience dans le chant et que je souhaitais faire un passage chez lui. Il m’a fait monter sur l’estrade. J’ai interprété trois chansons de Little Richard, l’idole de mon enfance. » Leproux est séduit. Il demande à Vigon de revenir le vendredi suivant pour participer à un concours. Celui-ci s’exécute volontiers. Il voit alors son nom marqué à la craie sur le tableau dédié à la compétition. « Après ma prestation, les membres d’un groupe nommé The Lemons sont venus me voir. Ils étaient à la recherche d’un chanteur. Je leur ai expliqué que je ne pouvais pas rester en France, que je devais rentrer au Maroc. L’un d’entre eux m’a proposé de m’héberger. C’était le futur célèbre pianiste, Michel Jonasz. Je suis resté chez lui pendant deux ans. Sa maman me traitait comme un fils. J’étais au chaud. » Il est naturalisé quelques années plus tard. En 1966, Vigon et The Lemons sont engagés par un autre temple des nuits parisiennes, le Bus Palladium : « On s’y produisait tous les soirs. C’était éprouvant mais on aimait ça. On gagnait en notoriété. » Ainsi, un soir, on présente le chanteur à la première épouse d’Eddy Barclay, Nicole : « Elle m’a signé sur son propre label dont j’ai oublié le nom. Après sa mort, tous les artistes de son écurie ont été récupérés par Eddy. Mais il fallait quand même signer un nouveau contrat. » Cela se fait grâce à un concours de circonstances dont le catalyseur est Johnny Hallyday. Vigon fait la connaissance du rockeur francobelge dans les loges de L’Olympia quand il a assuré la première partie des Rolling Stones. Il m’a expliqué qu’il voulait rajeunir sa formation et qu’il souhaitait m’engager avec mes musiciens pour une grande tournée. Le marché vite conclu, je me suis dit qu’après tout ce temps passé au Bus Palladium, pourquoi ne pas procéder à un enregistrement, histoire d’immortaliser cette longue et belle résidence. La bande de l’enregistrement est restée dans la boite à gants de la voiture de mon manager de l’époque.
Un jour, il l’a confiée à un professionnel de l’industrie du disque. Emballé, il a sorti le 45 tour. C’était la reprise de Harlem Shuffle de Bob and Earl. » Le succès est immédiat. On est en 1967. Barclay, ne pouvant passer à côté de ce raz-de-marée, finit par signer le combo.
Wilson Pickett, Aretha Franklin…
En 1972, Hallyday refait appel à Vigon : « Sacha Rhoul, son secrétaire particulier, est venu toquer à ma porte. Johnny venait de terminer son show au Palais des Congrès et voulait me rencontrer. En arrivant, je l’ai trouvé allongé, nu, entrain de se faire masser. Il m’a proposé de l’accompagner pour la tournée Johnny Circus. Je devais faire les premières parties et ensuite les chœurs. Et c’était parti pour une autre belle aventure. » Entre-temps, en1968, Vigon signe avec la prestigieuse maison de disques américaine Atlantic, à l’origine du rhythm and blues, style populaire des années cinquante : « C’était énorme! Je me suis retrouvé, moi le rbati de la rue Lalla Oum Knabech de la vieille médina, sur le même catalogue que ceux que je vénérais dans ma jeunesse. Mieux : j’ai donné des concerts avec eux ! » Wilson Pickett, Aretha Franklin, Ray Charles… A la fin des années soixante-dix, le soul show man est sous contrat à l’hôtel Palais Badie à Fès. Il enchaîne pour une quinzaine de jours au Tan Tan Club d’Agadir. Deux semaines qui se soldent par vingt-trois ans dans la capitale du Souss. Vigon y tient un restaurant où il joue ainsi qu’un magasin de maroquinerie à proximité. En 2000, il décide de rentrer en France rejoindre ses enfants partis trois années auparavant : « Professionnellement, je ne voyais pas d’un bon œil ce retour. Je me suis posé plusieurs questions. Va-t-on se souvenir de moi ? Suis-je devenu has been ? Mon avenir est-il derrière moi ? En fait, je me disais que personne ne voudrait de mes services. Eh bien non ! Je me suis retrouvé dans un restaurant piano-bar en face de l’Olympia… le destin ! J’y ai chanté pendant dix ans. Ma clientèle était celle de la célèbre salle de spectacles dans laquelle je me suis produit à plusieurs reprises. Enfin, Dieu merci, les années soixante étaient redevenues à la mode. » Vigon est sur un nuage. Jusqu’à ce maudit 14 août 2011. Sa fille Sofia Gon’s, chanteuse également, est emportée par une embolie pulmonaire à 25 ans. Un drame qu’il évite d’évoquer. Quelque temps plus tard, il lui rend hommage en participant « à sa place » à la première édition de The Voice sur TF1. Il quitte le concours à l’issue du troisième prime et part former le trio Soulmen sur une idée du patron de M6 Musique. Celui-ci venait à l’âge de quatre ans voir sa maman, caissière au Golf-Drouot. Vigon contacte alors Erick Bamy, ancienne doublure de la voix de Johnny, et Jay, ex leader des Poetic Lover. Ils sortent ensemble deux albums, en 2013 (disque de platine) et en 2015, un opus en hommage à Elvis Presley. Le second enregistrement paraît quelques mois après la disparition de Bamy. Infatigable, Vigon réalise un énième album avec The Dominos. Intitulé « Rock’n’Soul », on y croise une reprise tonitruante, gorgée de soul et de rhythm and blues, de « Sidi Hbibi » de Salim Hallali. Que le wagon demeure attaché à sa locomotive.
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