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MAGAZINE : Naima Elmcherqui, l’âme à tout faire

MAGAZINE : Naima Elmcherqui, l’âme à tout faire

L’immense comédienne tourne le dos à la vie le 5 octobre après avoir profité de 81 ans d’une existence aussi palpitante que parsemée d’aventures en tous genres. Artiste forte-en-thème, elle s’engage dans le social, siège au Conseil de la haute autorité de l’audiovisuel, encadre en sourdine de jeunes aspirants à la pratique de l’art de l’interprétation théâtrale et cinématographique. Elle dit tout, fait l’essentiel. Naima racontée dans un spécial comme celui que nous proposons se rapproche plus du bonheur que du désarroi.

Que reste-t-il à dire lorsqu’un monument s’effondre ? La désolation, nous y sommes. L’amour pour une telle pyramide ne peut que gonfler jusqu’à ce que le cœur lâche pour se remettre à battre à la mémoire de tout ce qu’elle transmet, un bel aller-retour entre admiration et mélancolie. Pleurer la disparition de cette belle âme est finalement un hommage à un cœur dégoulinant de fortes sensibilités et à un agrégat de rôles campés avec douceur, douleur, délicatesse, humour… et cette finesse inouïe. Rien n’échappe à Naima Elmcherqui. Elle cogne en caressant, s’énerve en souriant. Unique et rigoureusement multiple, elle administre les plus intenses claques d’humilité. 

Belle jusqu’à son départ, elle montre la voie de la félicité. Avec l’homme de sa vie, de toute sa vie -le réalisateur et homme de théâtre Abderrahmane Khayat-, elle développe son art, fonde une famille et consomme librement son art : « Un couple fusionnel », insiste leur fille Yasmine, journaliste à la télévision canadienne depuis quelques années. Le cinéaste Abdelkrim Derkaoui nous en dit davantage sur ce tandem à la discrétion exemplaire. Il y cite son frère Mostafa, réalisateur d’exception : « Nous connaissons Naima, Mostafa et moi, depuis l’année 1964. Je ne peux pas penser à Naima sans parler de Abderrahmane Khayat. Cette année 1964, Abderrahmane rentrait de Paris où il venait de terminer ses études à l’IDHEC (Institut Des Hautes Études Cinématographiques), actuel FÉMIS. Il nous a invités Mostafa et moi dans la villa qu’il avait louée à Rabat, et bien évidemment, Naima était déjà là et officiait avec brio l’assemblée. Elle devait avoir dans le temps à peine une vingtaine d’année. Je m’aventurerais de penser et oser dire que ces deux-là se sont donné rendez-vous pour vivre ensemble toute la vie avant de venir au monde. Il y avait ce jour-là plein de personnes que je ne pourrai toutes citer : de Ahmed Bouânani à Med Habachi en passant par Ahmed Naji et la liste est longue… Ce jour-là, Abderrahmane fêtait la fin du tournage de son premier long métrage qu’il avait intitulé ‘’Hadith Al Ajial’’. Nous sommes partis en Pologne Mostafa et moi le 15 Septembre 1965. A notre retour sept années après, jour pour jour, le 15 Septembre 1972, Naima et Abderrahmane étaient encore et toujours là pour s’occuper de nous. Ils nous ont séquestrés chez eux pendant une dizaine de jours, durant lesquels ils nous instruisaient sur ce qu’il se passe dans le monde du cinéma et de l’audiovisuel chez nous. Ils nous énuméraient les gens avec lesquels nous serons amenés à travailler et tout le reste. Naima et Abderrahmane avaient à notre retour deux enfants : Hicham et Basma. Yasmine n’était pas encore née. Basma, petite, avait un cheveu sur la langue, qu’elle a toujours d’ailleurs, et nous raffolions l’entendre parler Mostafa et moi. Quand nous avons décidé de fonder une société de production, Mostafa a tenu à lui donner comme nom « Basma Films Productions ». Nous avons fait beaucoup de choses ensemble depuis. Mais, pour ne pas trop vous ennuyer, je tiens quand même à citer deux travaux très importants pour nous et qui nous tiennent à cœur. ‘’Les beaux jours de Chahrazade’’ : Naima, Abdelwahab Doukkali et Farid Belkahia ont fait de ce film l’un des plus beaux films de la cinématographie nationale. Ils y étaient solidement secondés par Larbi Batma, Omar Sayed, Mohamed Miftah, Mohamed Khalfi et bien sûr la grande Meryem Fakhreddine. Ensuite ‘’Rue le Caire’’ pendant lequel les pluies torrentielles et dévastatrices nous ont détruit tous les décors construits en extérieur, chose qui nous a demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices pour arriver à le terminer. Là j’ai su et vu que pour ce faire, je devais cela en grande partie à l’immense résilience de Abderrahmane et à l’incommensurable patience de Naima ! » Avec élégance, elle passe aussitôt.
 

Fine comédienne
Généreuse, elle accepte en 1992 de donner un coup de pouce au jeune réalisateur Nabil Ayouch sur son troisième court métrage « Les pierres bleues du désert » qui révèle Jamel Debbouze que Naima appelle affectueusement « mon autre fils ». Le réalisateur Mohamed Abderrahmane Tazi qui engage Elmcherqui à quatre reprises (Badis, A la recherche du mari de ma femme, Lalla Hobbi, Les voisines d’Abou Moussa) consacre à la fine comédienne un long témoignage sur sa page Facebook (initialement destiné à nos colonnes) dont voici quelques extraits : « Il y a des acteurs et actrices qui vous marquent non seulement par leur jeu et leur talent artistique mais aussi par leur pouvoir de vous mettre à l’aise et qui créent un rapport d’amitié qui va au-delà des rapports de travail. Après mon premier film, un road-movie, un film basé beaucoup plus sur le voyage et les rencontres, vint le suivant, ‘’Badis’’, un film d’acteurs et de situation. Lalla Naima y joue un rôle superbe et imposant de tenancière de café, un rôle magistral qui donne au film plus de consistance et de réalisme. Une première collaboration satisfaisante qui ne peut que se répéter. Ma fidélité aux comédiens et comédiennes est indiscutable et je ne pouvais imaginer d’autres films sans la participation précieuse, enrichissante de madame Elmcherqui (…) « A la recherche du mari de ma femme » en 1992, je retrouvais ma ville de Fès et sa vie quotidienne dans une famille d’un riche bijoutier marié à trois épouses. Encore une fois, la présence de Naima Elmcherqui s’imposait par ce pouvoir d’adaptation à des rôles les plus difficiles (…) Notre dernière collaboration dans le domaine cinématographique remonte à l’année 2003 avec le film ‘’Les voisines d’Abou Moussa’’. Un rôle de reine qui ne pouvait être joué que par Naima Elmcherqui. Un rôle immense joué avec talent, profondeur, envergure et bienveillance. » Il dit, plus loin : « Lors du tournage de ‘’Lalla Hobby’’, Naima Elmcherqui consacrait de son propre gré de longs moments avec les comédiennes débutantes en leur prodiguant conseils et encouragements (Samia Akariou jouait pour la première fois). N’est-ce pas là une philosophie de partage, de solidarité et d’entraide, innée chez Lalla Naima. Attitude généreuse et bénéfique. » C’est ce qu’on appelle également le renoncement de soi. Au théâtre, elle brille sous la direction de plusieurs metteurs en scène avec les pièces Moumou Boukherssa, Wali Allah, Derhem lahlal, Bent El Kharraz, Al khadimat … A la télévision, outre les téléfilms, Elmcherqui présente entre 2000 et 2024 l’original programme culturel et éducatif « Alif Lam » produit par le dramaturge Mohamed Kaouti et diffusé sur la première chaîne. Sa filmographie, enviable à souhait (lire plus loin), laisse rêveur. Elle nous quitte, les yeux rivés sur nos larmes.

Nawfel Raghay (Ancien directeur de Cabinet du président de la HACA) : Neuf ans auprès de la comédienne à la HACA
Comme tous les Marocains de ma génération, je connaissais Lalla Naima Elmcherqui bien avant de la rencontrer en personne. Mais c’est au sein de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) que j’ai eu la chance de la côtoyer de près, alors que j’étais jeune directeur de cabinet du président et qu’elle siégeait au Conseil. Travailler à ses côtés, pendant presque neuf années, c’était constater au quotidien cette bienveillance innée qui la définissait. Elle était la maman de tous, prête à plaider pour des circonstances atténuantes chaque fois qu’une sanction était envisagée. Ce qui rendait Naima unique, c’était sa capacité à allier humanité et intelligence pratique. Avec son engagement naturel d’ambassadrice de l’UNICEF, elle veillait avec un mélange de tendresse et de rigueur sur la protection du jeune public dans les médias audiovisuels. 

 

Un vide énorme
Naima, c’était une actrice dans l’âme, et je ne parle pas seulement de ses talents devant la caméra. Je me souviens encore d’un séminaire international où, en pleine pause-café avec un représentant d’un pays non arabophone, elle m’a glissé un message urgent en arabe, tout en continuant à parler en français à notre interlocuteur. C’était du genre un mot en arabe adressé à moi tous les trois ou quatre mots en français adressés à notre interlocuteur, sans jamais briser le rythme de la conversation. Une prouesse ! Essayez donc de faire ça sans vous emmêler. Moi, malgré des années d’efforts, je n’ai jamais réussi à maîtriser cet art de la double conversation. Son départ laisse un vide énorme. Mes pensées accompagnent son époux, Ssi Abderrahmane Khayat, et ses enfants, particulièrement mon amie Yasmine, si proche de sa mère. Je revois encore la fierté dans les yeux de Lalla Naima chaque fois qu’elle parlait des dernières productions, et je dirais même des combats, de Yasmine pour la télévision. Que Dieu la reçoive en sa sainte miséricorde.

Mohamed Mouftakir (Mohamed Mouftakir est réalisateur et scénariste, auteur des longs métrages « Pégase », « L’Orchestre des aveugles » et « L’Automne des pommiers ») : Avec lui, Naima tourne son dernier long métrage
Une présence, une aura, un poids, une histoire, toute une histoire! Naima Elmcherqui est à la fois une actrice marocaine et l’histoire de l’art de l’interprétation au Maroc, elle porte en elle les deux à la fois et il est difficile de dissocier ce qu’elle incarne, d’abord en tant qu’actrice et aussi en tant que femme qui a accompagné l’histoire de l’art dramatique au Maroc, depuis ses tout débuts. Une femme qui porte en elle tous les personnages qu’elle avait interprétés et qui rêve d’interpréter. 

 

Une histoire incontournable
Difficile de donner un âge à Lalla Naima Elmcherqui, car elle est nourrie de son histoire, riche et variée. J’ai eu le plaisir de travailler avec elle dans mon dernier film, « L’Automne des pommiers » qui n’est pas encore sorti en salle et dans lequel elle a eu le rôle principal. Elle était majestueuse, touchante, charismatique et très coopérante. Un rôle pour lequel elle a eu le prix de la meilleure interprétation féminine au festival du film arabe à Malmö. Naima va nous manquer, mais elle restera toujours présente parmi nous, par son âme généreuse et son histoire incontournable. Naima Elmcherqui, je t’aime, on t’aime, les Marocains t’aiment.

Quand on aime la vie, on va voir Elmcherqui au cinéma
Militante silencieuse de l’art qui l’habite, Naima Elmcherqui traverse avec un cœur grand comme ça les différents médiums de la l’interprétation. Chatouillante de justesse, elle marque, à chacun de ses passages, esprits et sensibilités. Cinématographiquement mais également à la télévision, Naima compte des participations à ampleur variante, dans des productions aussi marocaines qu’étrangères. En voici, en vrac, une énumération non exhaustive : La vengeance de Don Mendo, Casablanca nid d’espions, Noces de sang, 44 ou les récits de la nuit, Badis, La famille Ramdam, A la recherche du mari de ma femme (prix du meilleur premier rôle au festival du film national), Lalla Hobbi, Solomon, Un été aux hirondelles, Café de la plage, Et après ?, Allal Al Kalda, Taman Arrahil, Mauvaise foi, La grande villa, Une goutte d’huile suffit, L’Automne des pommiers (prix du meilleur rôle au festival international arabe de Malmö en Suède, Rue le Caire, Les beaux jours de Chahrazad … L’automne des pommiers est son dernier rôle dans un long métrage réalisé en 2020 par Mohamed Mouftakir qui lui rend hommage dans la présente édition du Magazine de L’Opinion. 

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