Alors que la France a récemment annoncé l’interdiction dès janvier 2025 de louer les logements très mal isolés, le Maroc gagnerait-il à s’inspirer de cette initiative en étendant le chantier de l’efficacité énergétique aux bâtiments déjà construits ?
La France a annoncé en début de semaine que les logements dont le diagnostic démontre une très faible efficacité énergétique ne pourront plus être loués à partir du 1er janvier 2025 pour forcer les propriétaires à faire des travaux de rénovation. Qualifiés de « passoires thermiques », ces logements contribuent à la précarité énergétique et pénalisent les efforts de transition et d’efficacité énergétique de l’Hexagone. Si le climat en Europe est généralement plus froid qu’au Maroc, imposant ainsi des enjeux importants en termes de chauffage, il n’en reste pas moins intéressant d’établir le parallèle avec le Maroc oùle chantier de l’efficacité énergétique des bâtiments prend également de l’ampleur au vu des engagements climatiques du Royaume. « Le secteur du bâtiment est parmi les secteurs les plus énergivores au Maroc avec une consommation énergétique allant jusqu’à 33% répartie en 7% pour les bâtiments tertiaires et 26% pour les bâtiments résidentiels», souligne l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE) dans son site web.
Cadre réglementaire
La consommation énergétique du bâtiment au niveau national continue par ailleurs à augmenter avec la croissance démographique, la création de nouvelles villes et l’utilisation soutenue de systèmes de climatisation et de chauffage que connaît le Maroc. « Le secteur du bâtiment représente à lui seul un potentiel d’économie d’énergie de 40% », poursuit l’AMEE, notant que la politique d’Efficacité Énergétique au Maroc s’est concrétisée par l’adoption de la loi 47-09 relative à l’efficacité énergétique en 2009. Contrairement à la France, où le gouvernement vient de changer les règles pour calculer le diagnostic de performance énergétique (DPE) des bâtiments pour renforcer l’obligation déjà en place d’auditer les logements et d’inciter à la rénovation des «passoires thermiques», le Maroc semble concentrer ses efforts sur les nouvelles constructions. Le principal cadre réglementaire utilisé dans ce sens est Règlement Général de Construction (RGC) qui fixe des règles de performance énergétique selon les différentes zones climatiques du pays.
Potentiel d’économie
Bien que le Maroc ne dispose pas encore d’un système de classification énergétique des bâtiments similaire au DPE en France, et afin d’instaurer un cadre réglementaire et normatif régissant la performance énergétique dans le secteur du bâtiment, une Réglementation Thermique de la Construction au Maroc (RTCM) existe depuis 2015 et est exigée au niveau des permis de construire. « Pour faciliter l’étude de conformité des bâtiments résidentiels ou tertiaires à la RTCM, l’AMEE a conçu le logiciel gratuit « Binayate » permettant de réaliser les études de conformité selon les deux approches performancielle et prescriptive. Ce logiciel est destiné aux ingénieurs, architectes, administrations, universitaires et professionnels du secteur du bâtiment », précise l’AMEE, notant que « la réglementation thermique est très rentable pour les bâtiments résidentiels et tertiaires ». Le surcoût d’une mauvaise isolation thermique est ainsi estimé entre 2,1 à 4,3% pour le secteur résidentiel et autour de 3% pour le secteur tertiaire. Le potentiel d’économie atteignable avec une bonne isolation thermique est pour sa part estimé de 39 à 64% dans les bâtiments résidentiels, et 40 à 59% dans les constructions du secteur tertiaire.
Constructions existantes
Si le climat marocain n’impose pas le même recours au chauffage qui peut être observé dans les pays européens, il n’en demeure pas moins que l’augmentation des températures intensifie l’utilisation et l’installation de la climatisation, tout aussi énergivore que le chauffage. Au vu du potentiel d’économie énergétique (et donc également économique) du bâtiment au Maroc, il est actuellement légitime de se poser la question sur la nécessité de généraliser le chantier de l’efficacité énergétique aux anciennes constructions, notamment à celles qui sont les moins bien isolées thermiquement. Il n’en reste pas moins que les coûts importants que ce genre de rénovation pourrait engendrer, posera des difficultés aux ménages concernés et nécessitera certainement des incitations étatiques. Un investissement qui serait rentable à terme sur au moins deux volets : une économie substantielle d’énergie précieuse ainsi qu’une contribution non-négligeable à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Omar ASSIF
3 questions à Abdellatif Assaghir, expert en acoustique, vibration et thermique du bâtiment « Il est obligatoire pour les constructeurs d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique dans leurs projets »
Au Maroc, les constructeurs sont-ils légalement tenus d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique dans leurs projets ?
Oui, au Maroc, il est obligatoire pour les constructeurs d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique dans leurs projets. La politique gouvernementale en matière d’Efficacité Énergétique objet de la loi 47-09 qui date de 2009, et qui dans le domaine du bâtiment se décline notamment en directives qui sont consignées essentiellement dans la RTCM de 2015 et à travers l’audit énergétique obligatoire à partir d’un seuil de consommation fixé par la loi (500 TEP – Tonne Equivalent Pétrole -pour le secteur tertiaire et 1500 pour le secteur industriel).
Quelles techniques d’isolation thermique existent dans le marché marocain pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments ?
Il convient d’abord de noter qu’il existe deux méthodes d’isolation de l’enveloppe des bâtiments. Premièrement, l’isolation de la paroi extérieure (ITE) est constituée de la paroi, de l’isolant et de la protection. Deuxièmement, l’isolation thermique de l’Intérieure (ITI) qui est par ailleurs le mode le plus répandu, composé de la paroi, de l’isolant, du pare-vapeur et de la finition. Pour les isolants au Maroc, on retrouve essentiellement trois grandes familles : les isolants à base de matière minérale comme la laine de verre et la laine de roche, les isolants synthétiques comme le polystyrène et le polyuréthane et, enfin, les isolants à base de ressources naturelles comme le liège et les fibres de chanvre.
Existe-t-il des défis techniques lors de l’installation de solutions d’isolation thermique dans des bâtiments existants ?
Oui, l’implémentation de solutions d’isolation thermique dans des édifices déjà en place pose divers défis techniques. À la différence des constructions neuves, où l’isolation est intégrée dès la conception, les projets de rénovation exigent une adaptation à des structures déjà existantes, ce qui peut rendre la mise en place des solutions d’isolation plus difficile. Il est important de souligner que l’un des défis auxquels nous sommes confrontés sur le marché marocain est de choisir des techniques d’isolation qui assurent à la fois une bonne performance acoustique et thermique. Par exemple, il est préférable de mettre en place un double vitrage asymétrique plutôt que des vitrages symétriques. De plus, il est préférable d’opter pour des matériaux souples à cellules ouvertes qui jouent le « rôle ressort », comme la laine minérale, plutôt que des matériaux rigides à cellules fermées tels que la mousse polyuréthane.
Performance thermique : Une approche normative adaptée aux réalités climatiques régionales
L’interaction que connaît l’enveloppe du bâtiment avec son environnement suite aux différents phénomènes de conduction, convection et rayonnement engendre des déperditions importantes. La chaleur s’échappe d’une maison mal isolée à 30% de la toiture (c’est donc la priorité en termes d’isolation), à 20-25% par les murs, à 10% ou 15% par les vitres et fenêtres et à 7% ou 10% par les sols. C’est ce qui démontre l’importance de l’amélioration de la performance thermique de l’enveloppe à travers la mise en place de différentes mesures d’efficacité énergétique comme : l’isolation thermique, l’utilisation de vitrage performant (double ou triple vitrage), l’élimination des ponts thermiques et l’orientation optimale et la compacité du bâtiment. A noter que le Maroc a adapté les objectifs de performances thermiques exigées dans les constructions selon le type du bâtiment (résidentiel ou tertiaire) et selon la zone climatique où il se trouve. La RTCM se décline ainsi selon 6 zones climatiques : Agadir, Tanger, Fès, Ifrane, Marrakech et Errachidia.
Engagement institutionnel : Efficacité énergétique des bâtiments publics et devoir d’exemplarité
Le Maroc a adopté en 2019 le Pacte de l’Exemplarité de l’Administration (PEA) pour rendre les bâtiments publics plus économes en énergie. Ce pacte s’inscrit dans le cadre de la Stratégie Nationale de Développement Durable, et vise à promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement. Supervisée par l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE), cette initiative inclut des diagnostics énergétiques, l’installation de systèmes d’éclairage basse consommation, et l’amélioration de l’isolation thermique dans les bâtiments administratifs. Les audits menés par l’AMEE ont permis d’identifier des économies d’énergie allant jusqu’à 30%, grâce à des mesures simples, comme l’amélioration de l’efficacité des équipements et la réduction des consommations inutiles. Cependant, de nombreux bâtiments publics doivent encore être rénovés pour atteindre les objectifs fixés, notamment en termes d’isolation et d’intégration des énergies renouvelables. Les résultats sont encourageants, mais la mise en œuvre reste progressive, et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour faire de l’administration publique un modèle durable. Le PEA s’inscrit également dans la lutte contre le changement climatique, en phase avec les engagements internationaux du Maroc en matière d’environnement, en visant une réduction significative de l’empreinte carbone des bâtiments publics. À terme, ce pacte a pour objectif d’améliorer la gestion énergétique et de renforcer l’exemplarité de l’État en matière de durabilité.
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